CHAP. 21 à 23

 

CHAP. XXI.

 

        Peu après onze heures, ils arrivèrent à Chalabre.  Le GPS les guida dans l'ancienne partie de la ville.  Estelle gara la voiture devant les Halles.  Il y avait beaucoup de monde dans ce village.  Les gens étaient séduits par ce beau soleil, par les petites ruelles avec vue sur le château et le calme de ce centre ancien.  La maison des Siffre se trouvait à une cinquantaine de mètres.  En se rapprochant Estelle et Jérôme virent une belle demeure dont la façade était rénovée avec goût.  Ils s'arrêtèrent devant une impressionnante porte en bois ancien avec un butoir en forme de main.  Jérôme l'actionna.  

        La porte s'ouvrit sur une petite femme, un mètre cinquante environ, cheveux blanc, yeux marron, la soixantaine.  Elle était visiblement surprise de trouver deux gendarmes devant elle. 

        'Bonjour, madame Siffre ?’

        'Oui, c'est moi.  Je peux vous aider ?’

        'Je suis le lieutenant Jérôme Dubois et voici le lieutenant Estelle Nunez.  Nous enquêtons sur les meurtres du Plateau de Sault.  Votre mari, François, est venu à Belcaire nous parler de cette affaire.  Est-ce qu'il est là ?  C'est important qu'on le voit.'

        'François n'est pas là, monsieur...'

        'Ah !', Jérôme fut déçu, 'est-ce que nous pouvons entrer deux minutes ?’

        'Oui, si vous voulez, mais j'en sais très peu.', elle ouvrit grand la porte et les invita à entrer.  L'entrée était impressionnante : un long et large couloir au plafond haut, décoré sobrement, mais avec beaucoup de goût.  Madame Siffre les devança et ouvrit une porte à gauche.  Le séjour aussi faisait preuve d'un goût raffiné, mais Jérôme ne prit pas le temps de l'apprécier d'avantage.

        'Il est où votre mari  ?  C'est important et très urgent, madame !’

        'Il est sorti, il y a une heure pour faire une promenade.  Il adore ça...'

        'Pas tout seul j'espère  ?  Je le lui avais interdit.'

        'Non, il n'est pas seul.  Notre aide-ménagère l'accompagne.  C'est une brave fille, vraiment un cadeau du ciel.  Elle aussi aime faire des promenades et avait proposé d'accompagner mon époux.  Je ne peux plus faire des heures de marche à cause de mon genou.  Arthrose, les médecins disent.  Je suis très contente d'avoir trouvé cette fille pour m'aider à faire le ménage.  Cette maison est très grande, trop grande même.'

        Jérôme réfléchit à travers cette flotte de paroles : 'Est-ce qu'ils vous ont dit où ils allaient se promener ?’

        'Oui, le Pic de l'Ourthiset, sur le Plateau de Sault.'

        Jérôme regarda Estelle... Elle hocha la tête : ils se comprirent … il n'y avait plus de temps à perdre, même accompagné, cet homme était en danger !’

        Jérôme sortit la photo de Marie : 'Madame, est-ce que vous connaissez cette personne ?’

        Elle prit la photo et l'étudia un petit moment, puis elle leva la tête les yeux grands ouverts : 'Mais... le visage m'est familier, mais pas les cheveux.  Attendez... Non, ce n'est pas possible !’

        'Qu'est-ce qui n'est pas possible, madame, à qui vous pensez ?’

        'Mais à Martine, notre aide, justement  !!'

        Jérôme la regarda perplexe...

        'Oui, monsieur, ce visage, on dirait que c'est Martine, mais elle a des longs cheveux noirs bouclés, couvrant une bonne partie de son visage.  Je ne sais plus quoi en penser...  En fait, c'est qui sur la photo ?’

        'Madame, nous pensons que la fille sur la photo et votre Martine sont la même personne.  Nous pensons aussi que votre mari est en danger.  Est-ce qu'il a pris son portable ?  Vous avez le numéro ?’

        'Oui, il l'a pris, mais comme je connais François, il ne l'a sûrement pas allumé.'  Elle donna le numéro. 

        Tout d'un coup elle comprit la gravité de la situation: 'Oh mon Dieu, je le croyais en sécurité avec Martine … ' Elle porta ses mains devant son visage : 'Non ! Pas mon François !’

        Estelle avait déjà composé le numéro sur son portable, mais tomba sur la boîte vocale.  Elle secoua la tête : il ne répondait pas.

        Jérôme prit une décision : 'Madame, nous allons essayer de retrouver votre mari.  Quelle voiture ils ont prise ?’

        'La nôtre, la Sénic, couleur bleu.'

        'Viens Estelle, allons-y !’

        Les deux lieutenants quittèrent en hâte la maison des Siffres pour rejoindre leur voiture.

        'Bon Estelle, fonce direction Belcaire !’

        'Oui, je veux bien, mais c'est par où ?’

                'Euh... attends que je réfléchisse... Oui, j'ai trouvé : direction Puivert, Nébias, Belcaire.  J'ai à téléphoner à la gendarmerie de Belcaire.'

        Estelle trouva rapidement les panneaux Puivert – Quillan.  Elle tourna à gauche, sortit du village et fonça vers Puivert...

        Entre temps Jérôme avait adjudant-chef Rosenblum au téléphone.  Il lui expliqua en résumé l'urgence de la situation.

        'Lieutenant, s'ils se promènent sur l'Ourthiset, nous devons nous donner rendez-vous à Rodome, c'est de là que part le chemin.  Vous m'attendez à l'entrée du village, juste à droite après le pont.  Moi j'appelle du renfort !’

        'Merci Rosenblum, à tout à l'heure.'

        'Rosenblum  ?', Estelle s'étonna. 

        'L'adjudant-chef de Belcaire, c'est son nom.'

        'Il est comment se Rosenblum ?’

        'Il  ?  Elle est...', Jérôme hésita, 'comment dire  ?  Elle est extraordinaire...', il sourit.

        Estelle le regarda un bref instant, puis se concentra de nouveau sur la route.  Elle entra Puivert et tourna à gauche.

        'Je vois ton sourire Jérôme.  Elle t'a impressionnée, n'est-ce pas ?', elle le taquina.

        'C'est exactement ce qu'elle est : impressionnante.  J'ai hâte de te présenter et tu jugeras par toi-même.'

        'OK !  Extraordinaire et impressionnante ?  C'est mots me font penser à un mastodonte du pays.'

        'Elle est à peu près ça...', Jérôme pouffa et tous les deux rirent de bon cœur.

 


CHAP. XXII.

Mercredi, 24 juin, après-midi, Rodome.

        Estelle et Jérôme arrivèrent à Rodome à midi trente.  Traversés le pont, elle tourna à droite et se gara derrière les voitures de la gendarmerie déjà en place.  Jérôme en compta trois.  Les gendarmes s'attroupèrent devant et discutèrent. 

        'Rosenblum a fait vite.   Les renforts sont déjà là.  Tu vois Estelle, elle est aussi très efficace.  Viens on va faire connaissance.'

        En se rapprochant du groupe, Jérôme reconnût quelques visages : Lebrun et Rosenblum, bien sûr, mais aussi d'autres qui étaient déjà venus donner un coup de main. 

        Ils se saluèrent et Jérôme vit tous les yeux se tourner vers Estelle.  Il la présenta et aussitôt Rosenblum sortit du groupe.

        'Ravie de faire votre connaissance, lieutenant...  Je suis adjudant-chef Rosenblum.'

        Estelle la regarda les yeux grands ouverts.  Jérôme l'observa et dut faire un effort de ne pas s'éclater de rire,  mais Estelle se reprit bien : 'Tout le plaisir est pour moi, adjudant-chef !  Le lieutenant Dubois m'a beaucoup parlé de vous.  Et que du bien évidemment.'

        'Je l'espère bien, lieutenant.', elle sourit en regardant Jérôme.

        Sacrée Estelle, pensa ce dernier amusé...  Mais il ne fallait pas oublier pourquoi ils étaient là !  Il sortit donc la photo de Marie et résuma la situation pour mettre tout le monde dans le bain.

        'La fille sur la photo s'appelle Marie Veestraeten.  Elle est soupçonnée d'être l'actrice des meurtres du Plateau de Sault.  C'est en tout cas ce que nous disent des indices trouvés chez elle.  En ce moment même elle se promène sur l'Ourthiset avec un certain François Siffre, qui est lui le dernier survivant du groupe de chasseurs de l'époque de l'accident qui a tué le père de Marie.   Nous pensons qu'elle veut le tuer.  Mais elle est déguisée : perruque de longs cheveux noirs bouclés.  Elle se fait appeler Martine.  Ils sont venus ici dans un Sénic bleu.  Voilà le topo.'

        Rosenblum enchaîna : 'Cette route monte l'Ourthiset jusqu'au parking du refuge.  Donc tout le monde en voiture et suivez-moi !’

        Elle avait déjà ouvert la portière de sa voiture, ne laissant pas d'autre choix aux autres que de regagner leur bagnole en hâte. 

        Jérôme n'avait même pas fermé la portière,  qu'Estelle démarra déjà.  La colonne de quatre voitures quitta Rodome à vive allure.

        'Rosenblum est superbe !', Estelle sourit.

        'Ah, tu l'as remarqué !’

        'Tu m'as bien eu là.  J'avais une autre image d'elle en tête après notre conversation.'

        'Comme quoi il ne faut jamais faire des suppositions.', Jérôme rit, 'mais j'avoue que tu es forte aussi... Tu t'es bien reprise.'

        'T'as vu ça !', Estelle pouffa à son tour, mais elle dut se concentrer sur la route.

        Ils roulèrent sur une route étroite à travers champs et forêts.  Après un virage serré à droite, ils entrèrent dans une sorte de clairière où Rosenblum, qui roulait en tête, tourna à droite.  La colonne de voitures suivit.  Ça commençait à grimper et bientôt le goudron, déjà défoncé et plein de nid de poules, laissait place à une piste forestière.  La vitesse diminuait fortement à cause des rigoles aménagées à travers la piste. 

        Dix minutes plus tard ils entrèrent sur une aire aménagée où une barrière bloquait la piste.  Les quatre voitures se garèrent.   Sur ce parking se trouvaient deux autres véhicules : une Berlingo et, Jérôme en fut soulagé, une Sénic bleue.

        Tout le monde se rassembla autour d'un panneau indiquant la promenade 'Boucle de l'Ourthiset'.

        Rosenblum prit la parole : 'Nous sommes ici', elle indiqua une flèche sur le panneau.  'Comme vous pouvez le voir, la promenade fait une boucle.  On peut donc commencer ici à gauche, le chemin passe devant le refuge, ou à droite,  par la forêt,  pour monter le pic.'

        Tous regardèrent attentivement le panneau. 

        Jérôme demanda : 'Le chemin à gauche, est-ce qu'il n'y a pas de forêt ?’

        'C'est en fait un chemin agricole, bien carrossable.  Il y a des arbres jusqu'au refuge, après c'est en découvert, ça passe derrière l'Ourthiset et s'arrête aux abreuvoirs pour les vaches.  De là il y a un sentier qui monte droit vers le pic, tout en découvert.'

        'Et à droite ?’

        'C'est d'abord une piste forestière pendant environ un kilomètre, après un sentier à travers la forêt.'

        Jérôme réfléchit... 'Ils ont pris à droite à travers la forêt.  Elle veut le surprendre avec son arc et elle peut le faire que entourée d'arbres.  Bon nous allons faire deux équipes : Lebrun, vous prenez à gauche avec ces messieurs, Rosenblum et Estelle, vous venez avec moi.  Nous prenons les voitures pour être plus rapide.  Des questions ?’

        Personne ne réagit.  Rosenblum donna une radio à Lebrun.

        'Bon, mesdames, messieurs, en route !  Et en vitesse, car il nous reste très peu de temps.  Mais attention... ne la sous-estimer pas ! Elle est dangereuse, très habille avec arc et flèche. Je la veux vivante, vous n'utilisez pas votre arme.'

        Rosenblum ajouta : 'Nous restons en contact avec les radios, vu qu'il n'y a pas de réseau. Suivez le balisage jaune.'

        Ils remontèrent dans les voitures.  L'équipe de Lebrun passa la barrière et monta vers le refuge.   Rosenblum tourna à droite.  Le chemin descendait du parking, faisait un grand virage à gauche et allait se perdre dans la forêt.

        'Ce chemin descend à Mazuby...', informa Rosenblum, 'nous prenons la piste forestière ici à gauche.'

        Plein de trous et de bosses firent bouger la voiture dans tous les sens.  Plusieurs montées raides, suivies des faux plats se succédèrent.  Régulièrement une marque jaune peinte sur un rocher ou un arbre apparu, leur indiquant le bon chemin.

        Tout d'un coup la forêt s'ouvrit sur une grande clairière herbeuse.  Rosenblum tourna à gauche et gara la voiture. 

        'Le sentier de la promenade monte ici à gauche.  Nous devons continuer à pied.'

        Ils sortirent de la voiture. 

        'C'est le moment de faire un peu de sport, mes lieutenants.'  , elle sourit.       

        Pendant que Jérôme se demanda si elle était sérieuse, elle enchaîna : 'Un petit jogging, ça vous dit ?'  Elle n'attendait pas la réponse et démarra aussitôt.  Estelle réagit vite et se lança à son tour.  Elle se retourna et vit Jérôme les regarder perplexe.  Elle lui cria : 'Cours, Jérôme, cours  !!', cynique et folâtre. 

        Le lieutenant soupira.  Il n'avait pas d'autre choix que de se lancer à son tour.  Il constata qu'il avait déjà un retard d'une cinquantaine de mètres.  Il n'aimait pas courir.  Il savait que beaucoup de ses collègues courraient avant ou après le travail, mais pas lui.  Il préférait donner son temps libre à sa petite famille.   Anna et Oscar grandissaient tellement vite et Jérôme souhaitait s'impliquer un maximum.  Quant à aller courir quand il pouvait batifoler avec Céline, le choix était vite fait.

        Rosenblum et Estelle avaient un bon rythme, mais Jérôme tint bien à tel point que la distance se rétrécît petit à petit.  Le chemin herbeux commençait à grimper sérieusement.  Trente mètres devant lui, les deux femmes tournèrent à droite et disparurent de sa vue.  Le lieutenant souffrit fort, il avait les  poumons en feu... 'Au tournant j'arrête, tant pis', il pensa.

        De plus en plus haletant il prit le tournant et stoppa net.  Dix mètres devant lui les deux femmes étaient en arrêt et parlaient avec une personne assise dans le talus à droite.  En se rapprochant, Jérôme reconnut monsieur Siffre.

        'Il est encore en vie...', constata-il soulagé.

        Il entendit la voie d'Estelle : 'Monsieur Siffre, où est Marie ?’

        François Siffre les regarda incrédule.  Décidément, il ne comprenait rien.

        'Marie  ?  Mais qui est Marie et pourquoi vous êtes ici ?’

        'Martine, elle est où ?’

        Siffre se mit debout.

        'Ah Martine !  Je connais.  Elle est en face, entrée dans la forêt pour faire pipi.  Nous avons mangé ici et nous voudrons continuer notre promenade.  Mais vous ne m'avez pas répondu... Pourquoi ces questions, pourquoi vous êtes ici ?’

        Jérôme s'arrêta à quelques pas du petit groupe et observa la scène.  Rosenblum parla dans sa radio et Estelle commença à expliquer la situation à monsieur Siffre.  Tout d'un coup le lieutenant entendit un bruissement à gauche dans la forêt.  Il réagit immédiatement et cria : 'Couchez-vous  !!'

        Il n’obtint évidemment aucune réaction.  Rosenblum et Estelle le regardèrent comme si il était un Alien.  Jérôme fonça donc dans le tas en criant : 'Tout le monde à terre  !!'  Il bouscula les deux femmes, elles tombèrent sur les fesses, et dans son élan il attrapa la veste de monsieur Siffre.

Il le tira vers lui.  Cette geste sauva la vie du retraité : ce n'était pas dans la poitrine, mais dans le bras gauche que la flèche vint se planter.  François tomba à terre en hurlant de douleur.

        Les trois gendarmes reprirent leur esprit  et rampèrent vers le blessé, qui gémissait par terre.  Il était allongé sur le dos, la flèche plantée dans le biceps gauche... 

        Estelle sortit un couteau et commença à découper la chemise pour mieux voir les dégâts.

        Rosenblum, déjà sur pied, avait tiré son arme et le pointa vers la forêt où rien ne bougeait...

        'Alors, Estelle ?', demanda Jérôme.

        'La flèche s'est plantée dans les muscles.  Je ne pense pas que l'artère est touchée, ça saigne évidemment, mais ça ne gicle pas.  Par contre il faut retirer la flèche pour pouvoir faire un pansement.'

        'Fais-le, je te fais confiance.'

        'Merci Jérôme, mais ça va faire très mal !’

        'Nous devons lui mettre quelque chose entre les dents pour mordre dessus.  Monsieur Siffre, avez-vous un mouchoir ?’

        Ce dernier sortit des vapes, le visage tordu, il ouvrit les yeux : 'Quoi ?’

        Jérôme ne répondit pas, il prit un bout de bois par terre, le frotta entre ses mains pour le nettoyer et le présenta devant la bouche : 'Monsieur Siffre, ouvrez votre bouche.'

        Le bout de bois glissa entre les dents...

        'Maintenant mordez fermement sur ce bois ! Voilà...  Nous devons retirer la flèche.'

        Il fut signe à Estelle.  Elle agrippa la flèche avec sa main droite et la retira d'un coup sec.  Siffre hurla en mordant le bois, tapa les pieds et sa main droite par terre, hyper-ventila les yeux fermés et le visage tiré de douleur et de rage. 

        'La flèche est enlevée ! Maintenant je vous fais un pansement.', Estelle plia des morceaux de la chemise en carré, les appuya sur la blessure et les fixa fermement avec un autre bout de tissu. 

        'Bon, ça fera l'affaire pour un moment, mais il doit partir à l'hôpital le plus vite que possible.'

        Rosenblum réagit : 'J'ai eu Lebrun au téléphone, ils arrivent et l'ambulance est en route.'

        'Nous sommes trop exposés ici !', remarqua Jérôme, 'Estelle, tu restes avec lui.  Rosenblum vous allez à la rencontre de Lebrun.  Quand il sera là, vous essayez de contourner et de venir par la forêt en face.  Marie est là quelque part...'

        Rosenblum le regarda : "Mais qu'est-ce que vous comptez faire ?’

        'Je monte le talus ici et je vais aller à sa rencontre.'

        Les deux femmes le regardèrent stupéfaites : 'Mais elle est dangereuse... elle va vous tirer dessus  !!'

        'Non Rosenblum, je ne crois pas.  Je ne suis pas sa cible.  Son projet était de tuer les chasseurs et moi, je n'en fait pas partie.  Elle n'a pas de raison de s'en prendre à moi... enfin, je l'espère.'

        Jérôme se leva et se rapprocha du talus.  Celui faisait bien deux mètres de hauteur.  Il le grimpa à quatre pattes et entra dans la forêt.

        Le lieutenant fut quelques pas et se retourna, il ne vit plus ses collègues... 'Ils sont à l'abri', pensa-il, 'tant mieux, Marie ne peut pas les voir.  Mais est-ce qu'elle sait que Siffre est encore en vie ?  Est-ce qu'elle a entendu ses cris ?  Ça pourrait être important.  Et moi, je ne suis pas en train de faire une bêtise ?  Elle est peut-être déjà très loin...'

        Il avança doucement à travers les sapins et les buissons, tous les sens en alerte.  Son cœur cogna fort et il était en sueur.

        Tout d'un coup il entendit un craquement devant lui.  Il s'arrêta et écouta, mais tout restait calme...

        Il cria : 'Marie, c'est le lieutenant Dubois.  Nous nous sommes rencontrés chez toi, il y quelques jours.  Je veux seulement te parler, ne tire pas !’

        Il écouta : rien, pas un bruit, pas de réponse.  Il avança encore sans savoir dans quelle direction aller.

        Un petit sifflement et le caractéristique 'tchac' d'une flèche qui se plante dans un arbre...  Jérôme se baissa instinctivement et sa main droit glissa vers son arme "Stop Jérôme, ne tire pas ton arme".  Il vit la flèche vibrer encore, plantée dans le sapin à un mètre de sa tête.  Il jura intérieurement. 

        'Elle n'a pas voulu me toucher, c'est bon signe.'  Il se leva et partit dans la direction d'où venait la flèche.

        De nouveau il parla fort : 'Marie, baisse ton arme ! Je veux te parler, ne tire plus.  Maire ?  Tu m'entends ?’

        Il était aux aguets, mais n'avait toujours aucune idée où elle pourrait se planquer.

        'Punaise, elle est douée !  Et moi, je fais quoi maintenant ?’

        Il avança de nouveau prudemment et inspira profondément pour essayer de maîtriser son cœur galopant.

        Huit mètres devant lui elle sortit de derrière un énorme sapin, son arc en main, la flèche pointée vers lui.  Jérôme se figea.  Il n'avait rien vu ni entendu,  c'était incroyable.  Elle portait encore la perruque et était habillée tout en vert sombre, jeans et chemise.

        Le lieutenant leva les mains : 'Ne tire pas, Mairie, ne fais pas ça.  Je veux qu'on parle !’

        'Parles alors  !!', cria-elle en colère, 'dis ce que tu as à dire et dégage !’

        'Ça ne va plus être possible, Marie, tu le sais très bien.'

        Pas de réaction.  L'arc restait prêt à tirer.

        'Marie, mes collègues sont autour de nous quelque part.  Ils sont armés.  Ne te fais pas tirer dessus !’

        'Ça m'est égale... ma tâche est finie !’

        Jérôme réfléchit à toute vitesse : ' Elle ne sait pas que Siffre est vivant...', pensa-il, 'surtout ne pas lui dire.'

        'Je pense ne pas faire partie de ta tâche, Marie, enfin je l'espère...  Justement cette tâche : pourquoi tu l'as faite et pourquoi que maintenant ?', il l'observa...

        Son visage restait dur.  Elle avait les larmes aux yeux : 'J'ai simplement fait ce que la justice dans ce foutu pays n'a pas voulu faire... j'ai puni ceux qui ont assassinés mon père.  J'ai mis du temps, c'est tout !’

        L'arc descendit un peu.  Jérôme en profita pour avancer de deux pas...  elle ne réagit pas.

        'Marie, je comprends ta colère, je suis sincère et … '

        'Tu fais partie de cette justice, donc épargne-moi ton baratin ! Je me rends, tu me mets les menottes, je vais en prison, c'est simple comme tout.'

        Le lieutenant ne sut pas quoi dire.  Il avança encore d'un pas.  Cette fois-ci Marie réagit...

        'Stop là, lieutenant !', l'arc fut de nouveau en place.  Jérôme jura intérieurement, il respira profondément pour se calmer... 

        'C'est ça, avoir peur.', pensa-il, 'j'ai fait une bêtise, où sont Rosenblum et Lebrun  ??'     

        'J'ai fait ce que j'avais à faire, lieutenant.  Maintenant, je m'en fiche si on me tire dessus...'

        'Je ne te crois pas, Marie.  Pense à ta famille, à ceux qui te restent, à ta mère par...'

        'Laisse ma mère en dehors de ça !', cria-elle.

        Jérôme vit couler une larme sur sa joue gauche.  'Elle est à bout', se dit-il.

        'Ta mère t'aime.  Ne te fais pas tuer, elle ne mérite pas ça...  Tu n'as pas le droit de lui faire subir cette épreuve.'

        'Mais qu'est-ce que tu en sais ?', sa voix se brisa tout d'un coup... ' C’est n'importe quoi...'

        Cette dernière phrase fut à peine audible.  Marie s'effondra, elle pleura pour de bon maintenant, l'arc descendit, elle le tint par la main gauche, sa main droite essuya ses larmes et sa tête baissa.

        Jérôme en profita pour se rapprocher.  Prudemment il mit sa main droite sur l'arc et parla doucement : 'C'est bon Marie, je prends l'arc, d'accord ?’

        Avec sa main gauche il la prit par l'épaule et la tira contre lui.  Elle reposa sa tête sur son épaule et sanglota sans retenu...  Elle lâcha l'arc et Jérôme le déposa derrière lui.  Il souffla doucement de soulagement et prit Marie dans ses deux bras.

        'C'est fini Marie, c'est bien... Pleures, ça te fera du bien...'  Jérôme sentit la tension diminuer.  Il dut la tenir fermement, sinon elle tombait par terre.

        Tout d'un coup Rosenblum et Lebrun se montrèrent à quelques pas devant lui, leurs armes en main.  Jérôme leur fit signe que la situation était sous contrôle. 

        'Viens Marie, allons-y.', il l'accompagna vers les deux gendarmes... elle ne protesta pas et se laissa emmener.

        'Rosenblum, est-ce que vous pouvez nous montrer le chemin vers les voitures ?’

        Elle hocha la tête : 'Bien sûr lieutenant, c'est par ici.', elle devança Jérôme, qui soutint toujours Marie.  Lebrun, qui avait ramassé l'arc, suivit derrière.  Le terrain descendait assez raide à travers la forêt.  Jérôme observa Marie : elle gardait la tête basse et restait silencieuse.  La descente devint de plus en plus pénible...

        Rosenblum parla dans la radio : il était question de rassembler tout le monde aux voitures. Finalement ils arrivèrent à la clairière à quelques pas des voitures. 

        Jérôme s'adressa à Lebrun : 'Adjudant, vous voulez bien vous occuper de Marie  ?  Faites-vous conduire à Belcaire par un des gendarmes.  Prenez soin d'elle, nous arriverons plus tard.'

        'Entendu lieutenant, vous pouvez compter sur moi.', il partit aussitôt.

        'Rosenblum, allons voir Estelle.'

        Au moment où ils reprirent le chemin, l'ambulance arriva.

        'Allez-y, lieutenant, moi j'accompagnerai les ambulanciers.'

        'Merci, à tout de suite.'

        Quelques minutes après Jérôme retrouva monsieur Siffre et Estelle, qui le questionna du regard.

        'C'est fini, Estelle, elle s'est rendue.', chuchota-il.

        'Bien, très bien, je suis soulagée.'

        'Monsieur Siffre, l'ambulance est arrivée.  Ils vont vous emmener à l'hôpital.  Comment vous vous sentez ?’

        'Ça va lieutenant, merci.  Ça fait un mal de chien, mais je suis en charmante compagnie et efficace par-dessus tout, donc je n'ose pas me plaindre  !', il sourit même en regardant Estelle.

        'Ils vont sûrement vous donner quelque chose pour calmer la douleur.'

        'J'espère bien.'

        'Si vous donnez l'autorisation, nous pouvons conduire votre voiture à Belcaire.'

        'Oui, une bonne idée... les clés sont dans ma veste, là par terre.  En fait lieutenant, un grand merci... Vous m'avez sauvé la vie.  Je n'oublierai jamais.'

        Jérôme hocha la tête.  Il ne sut pas quoi répondre et fut soulagé quand les sapeurs-pompiers arrivèrent. 

        Ces derniers prirent le relais pour s'occuper de Siffre.  Jérôme trouva les clés dans une des poches de la veste.  Il vit qu'on faisait une piqûre à monsieur Siffre et qu'on le mettait sur le brancard.

        'Monsieur Siffre, voulez-vous que je prévienne votre épouse ?’

        'Oui monsieur, c'est très aimable de votre part.  Dites-lui surtout de ne pas s'inquiéter, ça va aller...'

        Des bras costauds soulevèrent le brancard et le cortège descendit le chemin. 

        Jérôme se tourna vers ses deux collègues : 'Bon, mesdemoiselles, quelle journée, n'est-ce pas  ?  Nous aussi nous pouvons rentrer maintenant...'

        Il était presque dix-huit heures quand Jérôme gara la voiture de Siffre devant la gendarmerie de Belcaire.  Estelle et Rosenblum étaient déjà arrivées.  Ils se retrouvèrent tous à l'accueil. 

        'Comment elle est ?', Jérôme s'adressa à l'adjudant Lebrun.

        'Calme, elle ne répond pas aux questions, elle ne dit rien du tout... Je l'ai faite entrer dans une des petites pièces à côté, un collègue la surveille.'

        'Je vais la voir.  Rosenblum, voulez-vous bien régler son transfert à Carcassonne ?’

        'C'est fait, lieutenant, j'ai téléphoné en revenant.  Une voiture est en route.'

        'Bien, merci !’... 'Quelle femme extraordinaire', pensa-il, 'voyante, efficace, organisée et cette beauté déroutante...', il se sentit presque gêné. ' Et puis il y a Estelle, elle aussi si belle et perspicace...  J'ai beaucoup de chance.  Et dire que mes collègues se plaignent souvent des femmes du métier : trop laide, trop grasse, trop masculine et quoi encore...'

        Il se reprit : 'Estelle, est-ce que tu veux bien appeler madame Siffre et la rassurer ?’

        'Bien sûr, Jérôme, tu as son numéro ?’

        Il le lui donna et alla voir Marie. Il fit signe au gendarme de les laisser seuls.  Elle était assise sur une chaise derrière une table.  Ses bras pendaient inertes le long de son corps.  Jérôme ferma la porte et observa la jeune femme.  Elle fixait un point sur la table, ne levait pas sa tête et ne bougeait pas. 

        'Bonjour Marie.'

        Pas de réaction.  Le lieutenant attendit et réfléchit quelques instants.  Finalement il se décida : 'Marie, j'ai un tas de questions à te poser pour bien comprendre ce qui s’est passé, mais ça peut attendre... Tu seras transférée à Carcassonne et on prendra soin de toi.   Je viendrai sûrement te voir demain, ok ?  J'espère que tu seras reposée et qu'on pourra discuter.'...  Aucune réaction sur ces paroles...

        'Bon, à demain, alors.', Jérôme ouvrit la porte et le gendarme entra aussitôt pour rester avec Marie.

        Estelle vint à sa rencontre : 'J'ai parlé à madame Siffre... mais quelle avalanche de mots !', elle rit, 'j'ai eu du mal à la rassurer, mais finalement elle a compris, enfin j'espère !’

        'Estelle, tu n'as pas manqué ta première journée...  Tu as été formidable, épatante même !’

        'Merci, Jérôme... Mais toi alors, tu m'as impressionné.'

        'Oh, c'est bon.  Mais par contre,  au moment que je me trouvais en face de Marie, j'ai eu peur d'avoir fait une bêtise... heureusement ça s’est arrangé.  Tu sais que c'est tous les jours comme ça !', dit-il avec un clin d'œil.

        'Ҫa promets alors !’

        Jérôme regarda sa montre : déjà dix-sept heures passé.  'Attendons le transport de Marie et après nous rentrons.'

        'D'accord.'

        Jérôme alla aux toilettes.  Il se lava les mains et se rafraîchit le visage.  En revenant dans le couloir, il entendait des voix à l'accueil.  Il décida d'aller voir...

        Rosenblum discutait avec d'autres gendarmes.  Quand elle vit Jérôme entrer, elle l'appela : 'Lieutenant, ces messieurs viennent chercher Marie.'

        'Ah, bien.'

        Rosenblum remplit des formulaires et les signa : 'Voilà messieurs, elle est à vous.  C'est par ici...'  Elle les procéda dans le couloir, laissant Jérôme et Estelle à eux deux.

        Les deux lieutenants se regardèrent en silence.  Jérôme devait se sentir euphorique d'avoir arrêté le meurtrier, mais il se sentait au contraire morose.  Il était soulagé, certes, mais il avait aussi pitié pour Marie.  Estelle aussi restait silencieuse, comme si elle sentait le malaise de son collègue.

        Leur moment de réflexion fut interrompu par l'escorte : Marie, menottée, était encadrée par deux gendarmes.  Toujours aucune réaction de sa part...  la tête baissée, elle se laissait guider docilement.

        Jérôme les arrêta : 'Messieurs, je vous la confie.  Prenez bien soin d'elle.'

        'Bien sûr, lieutenant.'  Un des gendarmes, grand, jeune, visage sympa, avait réagi. 'On fera de notre mieux.'

        'J'y compte bien, merci.'

        Le cortège sorti, Rosenblum remarqua : 'Vous l'aimez bien, non, lieutenant ?’

        'Vous savez Rosenblum, ce que je trouve incroyable c'est que cette fille a porté une haine pendant plus de vingt ans et que personne, même pas sa mère, n'a remarqué quoi que ce soit.'

        'Certaines personnes sont fortes à cacher leur sentiments, lieutenant.'... cette remarque vint de Lebrun.

        'Bien sûr, adjudant, je le sais, mais quand-même.  Et toute cette préparation, infiltrer dans la vie des victimes, gagner leur confiance, comment elle a fait  ??  Elle n'a rien voulu me dire, mais je vais la voir demain.  Je veux absolument savoir !'  Jérôme regarda ses collègues : 'J'y tiens à vous remercier pour votre aide, vous avez été remarquable.'

        'Tout le plaisir est pour moi, lieutenant, j'ai bien aimé travailler avec vous.', dit Rosenblum en lui serrant la main.

        'Appelez-moi Jérôme.'

        'OK Jérôme, moi c'est Tatiana.'

        'Tatiana...', il n’en revint pas.  'Trop beau', il pensa, 'une femme comme elle ne peut pas avoir un prénom ordinaire.', il reprit ses esprits...

        'Au revoir, je vous tiens au courant des suites.'

        Il ouvrit la porte et laissa passer Estelle.

        Assis dans la voiture, Estelle taquina : 'Tatiana Rosenblum... c'est poétique et sensuel...'

        'Oui Estelle, tu as raison.  Elle est très belle pour une mastodonte du pays  !!'

        Ils éclatèrent de rire.

 

 

CHAP. XXIII.

        Carcassonne, jeudi 25 et vendredi 26 juin.

        Le lendemain Estelle et Jérôme allèrent voir Marie à la prison... mais toujours aucun dialogue possible avec la jeune femme.

        Les deux lieutenants furent invités chez le procureur. A leur grande surprise, même le préfet était présent. Estelle et Jérôme répondirent au mieux aux questions posées sur le déroulement du jour d’avant.

        Jérôme comprit très vite que les deux hommes étaient complètement sous les charmes d'Estelle. C’était donc elle surtout qui parlait et Jérôme en fut très soulagé. Une fois de plus, il remarqua comment cette femme était talentueuse et dégourdie.

        Le procureur décida d'organiser une grande conférence de presse, encore ce soir même. Toutes les grandes pointures seraient invitées et bien sûr les deux lieutenants. Estelle rit et Jerôme fit la grimace. Il connaissait bien la sauce: tout le monde en grand pompe, des questions idiotes avec des réponses parfois encore plus idiotes et la palme d'or serait pour le colonel et son chef capitaine, pour avoir mis fin aux carnages et surtout pour avoir restauré paix et tranquillité au Pays de Sault.

        Pendant qu’Estelle répondait aux questions, Jérôme était dans ses pensées. Il chercha désespérément un moyen ou des excuses pour échapper à cette conférence. Il ne trouva rien de valable.

        Il sortit de ses rêveries et entendit Estelle parler de l'état d'enfermement de Marie. Après encore plus de questions, le procureur et le préfet se mirent d'accord: un psychologue sera convoqué pour évaluer l’état de Marie.

        Finalement les deux lieutenants furent félicités et l'entretien prit fin, au grand soulagement de Jérôme.

        Arrivés à la voiture, Estelle observa son collègue:

            -'tu n'aimes pas ces entretiens, n'est-ce pas Jérôme?

        -As-tu remarqué ça ?  Il rit. 'C'est tellement évident ?

        -Ça oui,   elle pouffa.

        -Je dois faire attention alors.  Il devint sérieux. 'Non, je n'aime pas et encore moins les conférences de presse. Je préfère rester en arrière-plan, rester cacher même, qu'on ne parle pas de moi. Si je pouvais être ailleurs, je n'hésiterai pas une seconde, mais je crains que cette fois-ci nous ne pouvons pas y échapper'.

        -'Moi personnellement, les conférences ne me gênent pas, je pense'.

        -'Tant mieux pour toi. Mais y as-tu déjà assisté ?

        -'En fait, non'.

        -'Ah, alors je ne dirai pas plus'.

        Jérôme regarda sa montre. Presque treize heures. 'Et si on allait manger, chère collègue ?'

        Estelle fut d'accord. Ils prirent place en voiture et la jeune femme démarra. 

.

 

       

 

        Vendredi matin, les deux lieutenants furent surpris du changement de Marie.  A croire que le traitement du psychiatre avait fait des miracles.  Marie était réveillée, alerte et elle parlait comme si elle était soulagée de se libérer de ses secrets. 

        En venant, Jérôme avait acheté des viennoiseries.  Il demanda pour avoir du café dans la salle d'interrogation.   Décidément Marie apprécia ce geste.   En grignotant un pain aux raisins elle commença à raconter son histoire :

        Elle évoqua sa jeunesse à Galinagues, des copines et copains, construire des cabanes dans les forêts, avoir la liberté d'aller camper, de faire des longues balades.  Ses parents  toujours présents et attentionnés, plein d'amour et du bonheur.  Son père surtout, qui l'adorait et avec qui elle passait beaucoup de temps dans les serres.  Il avait énormément de travail, mais était toujours disponible si elle avait besoin de lui.

        Et puis arriva l'accident.  Tout d'un coup son père n'y était plus, c'était incompréhensible...  Le chagrin de sa mère... et son monde qui s'écroulait...  En évoquant ce drame, Marie avait les larmes aux yeux.

        Elle passa vite sur son adolescence : révoltante, difficile... un calvaire pour sa mère, elle dit.

        Après son bac, elle était surprise de l'avoir obtenu, elle monta à Paris pour étudier l'art la et création.  Elle fut acceptée comme apprentie chez monsieur et madame Gläser, bijoutier-dinandier.  Et là sa vie changea : des gens sympa, accueillants, passionnés par leur métier, lui donnant goût à apprendre, à travailler et avoir l'amour pour le travail bien fait. 

        Sa meilleure copine l'invita à un club de tir à l'arc et elle découvrit qu'elle avait un don.  Très vite Marie excella dans le maniement de l'arc sur cible fixe et mouvante et elle devint la meilleure tireuse du club.  Et c'est là, à ce moment-là, que prit forme ce qu'elle appelait son œuvre... 

        Marie attrapa un croissant et demanda un autre café.  Estelle le servit.  Jérôme l'observa en se demandant s'il devait lui poser des questions.  Il décida d'attendre : il ne souhaita pas la bousculer maintenant qu'elle parlait.

        Et effectivement, Marie reprit son récit au moment où elle revenait dans le sud, il y quatre ans.  Elle réussit à obtenir les noms des chasseurs de l'époque et peaufina son déguisement.  Se rapprocher d'eux était étonnement facile : elle se présenta en étant aide- ménagère en auto-entrepreneur, faisant jouer un peu ses charmes sur ses vieux cons, elle les nommait ainsi, et fut embauchée...  Le pire pour elle était de maîtriser sa haine, de jouer du théâtre pour gagner leur confiance.  Elle partageait quatre jours par semaine entre les quatre ménages et les autres jours étaient consacrés à ses créations artisanales.

        Tout s'accéléra quand elle apprit qu'ils aimaient faire des ballades.  Elle réussit à se faire inviter à les accompagner...      

        'Après ça devint simple  : planifier une promenade et le jour venu, trouver une excuse pour arriver en retard.  Je m'assurais quand-même qu'ils partaient seuls et je les attendais à un endroit bien précis.  Facile, elle dit, jubilant...  Presque un jeu d'enfant...'

        Marie se tut.  Son visage était devenu dur et fermé... Le silence s'installa. 

        Jérôme regarda l'heure : presque midi.  Il n’en revint pas qu'ils étaient ensemble depuis plus de deux heures.  Il regarda Estelle... elle secoua la tête, elle n'avait pas de questions.  Il décida donc d'arrêter là.

        Il remercia Marie et appela le gardien.  Marie fut emmenée à sa cellule et les deux lieutenants prirent la sortie.  Ils restèrent silencieux et songeurs...

        Jérôme fut soulagé de retrouver l'air libre.  Il inspira plusieurs fois à fond.   En entrant sur le parking, Estelle retrouva sa voix :

        'C'était quelque chose,  hein Jérôme  ?!'

        'Tu peux dire ça, Estelle.  Son récit est incroyable et impressionnant.'

        'Oui... Et cette haine, cette ténacité toutes ses années... '

        'Tu sais, quelque part je l'admire et j'ai de la compassion pour elle.  Ou est-ce que tu m'en veux de parler ainsi  ?...  Le métier et la justice, je veux dire...'

        'Pas du tout !  Je te comprends parfaitement.  Il y des moments qu'on a des doutes et il le faut, parce que cela veut dire que nous sommes humains et c'est bon signe, je trouve.'

        'Merci pour cette réflexion.'

        Ils étaient arrivés à leur voiture.  Jérôme soupira, il regarda son collègue : 'Tu sais quoi, lieutenant  ? J'ai besoin d'un remontant.  Nous allons boire un apéro et manger …  Je t'invite !', il sourit.

        'Avec plaisir, lieutenant ! Où allons-nous ?'

        'Je te laisse choisir, chère collègue, tu connais Carcassonne mieux que moi.'

        'Je connais un endroit... Tu seras surpris...', elle rigola.

        Ils prirent place et Estelle démarra.

 

                                               FIN

 

 

 

 

       

 

         

 

1 commentaire:

  1. on dit cela m'est égal et non égale
    il il a des fautes de tournure de phrase

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