le 23 septembre 2019: objectif zéro déchet



1er jeu : un texte qui va permettre de recycler 5 morceaux d’écrits qui aurait dû finir dans le bac à recyclage des papiers.

Tous les matins, Jacques Necker se réveillait convaincu qu’il se sentirait plus reposé s’il se forçait à ne pas fermer l’œil de la nuit.  Malgré sa fatigue journalière, il s’imposait quelques exercices pour fortifier ses muscles, la jambe libre fléchie et la cuisse orientée à 45° par rapport au sol, le tronc légèrement incliné en avant et fléchi au niveau de la hanche.  Tout en faisant ses exercices, il pensa qu’il devait passer chez Lionel Guéraud, à Castelnaudary, pour qu’il vienne lui poser une nouvelle serrure.  Samedi passé, il avait organisé une petite fête pour son anniversaire et il avait invité quelques amis et ses voisins, Louis Cassan, Arnaud Cassignol et Elisabeth Castoriano.  Ces derniers ne s’étaient pas fait prier pour que l’on remplisse leurs verres et à la fin de la soirée ils avaient quitté la maison tous les trois en titubant.  Louis avait trébuché et en voulant se retenir à la clinche de la porte, celle-ci s’était déboitée et la clé s’était fracassée sur le seuil de pierre.  Donc, après sa gymnastique, il sortit sa trottinette et se mit en route vers Castelnaudary.

     Anne

D’habitude, je joue à fond sur mon côté nordique dans la mesure où c’est mon point fort.  Mais de temps en temps, je deviens diabolique.  J’ai même un jour scotché Marie-Laure Denis dans un pouf-poire vert anis, pendant une journée, sa jambe libre fléchie à 90° au moins, sa cuisse parallèle au sol.  Ce n’est pas tout.  Le lendemain, après avoir fait appel à Mr Denjean Henri de France-élévateur, je l’ai ficelée, le corps vertical, dans un élévateur de compétition et l’ai propulsée à la hauteur du toit de ma maison, le nez dans les fumées de cheminée où brulaient des plastiques non recyclables.  Mon voisin, Jean-Marie Devaux, est venu interrompre l’aventure en me traitant d’assassin.

     Annie

-         Ecoute, Nicole, tu n’as pas eu le temps d’y réfléchir sérieusement.  ne me donne pas ta réponse tout de suite, penses-y.  Permets-moi toutefois de te demander une chose.  N’aimerais-tu pas me voir fringuant au volant de ma superbe voiture de course, les cheveux dans le vent ?

-         Te faire poser une perruque, je trouve ça aussi ridicule que ta voiture

-         Oh, avoue que ça te donnerait envie d’activités rythmées et de mouvements d’oscillation…

Sourires coquin de Ferdinand.  Lever au ciel des yeux de la femme dont le petit badge argenté indique Metayer Nicole.  L’homme déplace les cartons en faisant saillir ostensiblement les muscles de ses bras.  Il explique, professionnel jusqu’au bout :

-         les bras servent moins à l’équilibre qu’à la poussée… (clin d’œil appuyé)

Un homme en costume entre dans le hall et se dirige vers Nicole

-         Bonjour, Eric Miglierina, j’ai rendez-vous avec le directeur.

-         Je le préviens, veuillez attendre dans le fond du couloir

Tandis que l’homme s’éloigne, la secrétaire souffle à Ferdinand :

-         Lui, je suis sûre qu’il porte des talonnettes et une perruque.  Je te préfère comme tu es, c’est plus viril… (clin d’œil appuyé)

     Camille

J’avais l’impression qu’il me fallait tenter quelque chose d’un peu différent.  Parfois, je ne supporte pas d’avoir l’air si conventionnel.  À force d’être assise à mon bureau sur mon tabouret sur roulettes, pivotant, montant et descendant au besoin, au risque de perdre l’équilibre, je me senti le besoin de reprendre une activité physique.  Mes amis, Labbée Jean-Claude et Sophie m’encouragèrent et m’indiquèrent un club de fitness.  J’hésitais un peu, surtout quand mon collègue Marcel Labroue se moquait de moi quand j’évoquais le sujet.  Mais c’était décidé, je me suis inscrite à Sudfitness, au choix aquagym, aquabiking, fitness et musculation.  Ma première séance, jeudi dernier, m’a amenée à sauter, sauter encore mais un type de saut limité à 100° d’impulsions tout en allant le plus haut possible !  J’étais ravie, je retrouvais un peu de ma jeunesse oubliée, c’était super.  Au bout d’un temps, mes muscles se dessinaient et le collègue Marcel ne se moquait plus.

     Cécile

Après avoir raccroché, Jacques Necker resta immobile, le regard dans le vague.  Il ne se faisait aucune illusion.  La clé du coffre-fort avait bel et bien disparu.  Le souci, c’était que les diamants qu’il comptait offrir ce soir à Mary-Christine White se trouvaient à l’intérieur.  Qui avait subtilisé la clé ?  Il pensa aussitôt à ce Gérard Willenbrink qui était venu ce matin détruire le nid de frelons installé sur la grande poutre de la bibliothèque.  Quand Jacques était passé ce matin devant la porte ouverte, il avait jeté un œil à l'intérieur et avait bien vu le destructeur de frelons, la cuisse de la jambe libre s’élevant à la verticale sous l’action de la jambe d’appel, en équilibre précaire sur la poutre.  Mais une fois entré dans la bibliothèque et opérant une plus grande inclinaison du corps pour récupérer son œil, il n’avait pas vu que la clé se trouvait dans la soupière chinoise posée sur le meuble juste en-dessous de la poutre.  Il était trop tard maintenant pour trouver un autre diamant et, sans ce laissez-passer, il n’avait aucune chance de mettre le grappin sur l’élue de son cœur.  Ce n’est pas grave, il pourra jouer la raison et se rabattre sur Gabrielle Walter, un bien meilleur parti selon sa mère.

     Françoise

Marie-Antoinette Meric consacrait presque toute son énergie à organiser au moins une fois par semaine de somptueuses réceptions et à se rendre à celles qu’on donnait.  Toute son énergie, oui, car pour réduire son empreinte carbone, elle ne prenait ni le bus, ni tout autre moyen de locomotion polluant pour arriver chez ses amis.  Par exemple, pour aller chez Simone Mélèze, elle adoptait une marche très spéciale qui consistait à s’appuyer sur une jambe et la jambe fléchie à 90° ou moins, en poussant et en se mettant sur la pointe du pied.  La cuisse de la jambe libre s’élevait alors à la vertical sous l’action de la jambe d’appel.  Rien de plus simple, d’après elle.  Elle rencontrait parfois son voisin, Jean-Paul Mes, un peu obèse de sa personne par ailleurs.  Il ne manquait pas de se moquer d’elle, en lorgnant quand même ses cuisses et fesses évidemment bien musclées.  Jean-Paul par contre, garde-meuble sécurisé de sa fonction, acceptait parfois de venir à une réception organisée par Marie-Antoinette.  On le voyait alors arrivé avec un gros camion dont il sortait un lit pliant qu’il installait au fond du salon et sur lequel il se réfugiait pour somnoler lorsque les papotages mondains de ces dames lui suffisaient.
     Marie Jo

Le silence s’abattit sur la pièce alors que tous les visages se tournaient vers elle.  D’une voix d’une douceur incongrue dans cette bouche carnivore, la fille dit

-         que voyez-vous Mr Marshall Clifford sous la lamelle de votre microscope ?

-         Une bactérie étrange semble coloniser votre cavité buccale.  Son corps est vertical et, tel un être humain, les bras sont fléchis au niveau du coude et tenus légèrement de côté.

Melle Carmen Marin, toujours de sa voix mielleuse, déclara sans perdre son aplomb :

-         Effectivement, sur cette île d’Océanie, l’île des instruments à vent où j’ai eu l’occasion de faire escale cet été, un peuple étrange et peu connu m’a accueillie et m’a offert un repas.  Je les soupçonne de m’avoir fait manger de l’homme.  Serait-ce les reliefs de ce repas, coincés dans mon dentier mal ajusté, qui auraient proliféré ?  Serais-je enceinte de la gencive ?

Mr Marshall Clifford, après avoir ouvert des yeux ronds, se tourna vers ses collègues tous aussi perplexes que lui.  Était-il devant un cas unique de flaviogenèse, genre de parthénogenèse découverte incidemment par Jean Marti à Perpignan un beau jour des années 2080 ?

     Odile

Justine parvint à garder un ton à moitié badin.  Pourquoi cette espèce de vermine venait-il mettre son nez de pequenot dans ses affaires ?  Elle qui évitait soigneusement de se faire remarquer, de parler avec ses voisins de peur que ses mots soient interprétés, transformés.  On appelle ça le téléphone arabe…Tu parles, en Picardie ça marchait bien aussi.  Et on dirait bien que dans l’Aude ça fonctionne à merveille également !  A peine installée dans cette vieille ferme depuis une semaine et voilà déjà le premier enquiquineur qui rapplique !  Dès le matin en plus…10h10 à sa pendule !  Bon, y a pire pour se réveiller, mais c’est que Justine, elle, elle serait plutôt de la nuit, alors ma foi, le matin, elle dort pauvrette…  Le voilà donc qui rapplique avec ses petits yeux fouineurs qui n’oublient pas de scruter le moindre recoin de la pièce, pour finir par tomber – et s’éterniser- dans le décolleté de Justine, mal caché par son peignoir négligemment enfilé.  Mais pourquoi elle lui a ouvert bon sang !?  Bon, il dit s’appeler Jean-Louis Veyres et il serait agriculteur.  Il produit des œufs.  Au tour de Justine de le scruter avec attention.  Pas un gars de la conf celui-là.  Il a pas la tête de l’emploi…  Plutôt un de ces agriculteurs dont elle a horreur, production massive, aucune conscience écologique, bio connais pas…  Rien à voir avec Joseph ou François, ses amis de toujours qu’elle est venue rejoindre dans l’Aude.  Quelle idée aussi !  Il l’énerve tellement ce Jean-Louis.  Justine laisse sa jambe se balancer sous la table, de plus en plus fort, de plus en plus agacée.  Ce qu’on appellerait un mouvement d’oscillation, à savoir l’activité rythmée de la jambe libre associée aux forces de pousse.  Un vrai dictionnaire cette Justine, quand elle s’y met à faire autre choses que s’occuper de ses plantes médicinales et cosmétiques.  Non mais, il va finir par partir le gars ?!   Elle n’en peut plus.  C’est comme la Paulette, Paulette Marval, dont elle a eu la visite le jour de son entrée dans les lieux.  une commère de première.  Elle habite rue du Christ en plus.  Tout ce qui faut pour ravir Justine qui se revendique profondément athée.  Pauvre Justine, une arrivée en fanfare, ou presque.

     Sandrine



2ème jeu : Une phrase interrogative écrite lors du 1er jeu est relevée et va servir d’incipit.  On y répond en introduisant 2 mots reçus au hasard (des mots issus des solutions pour arriver à zéro déchet)

Que voyez-vous sous la lamelle de votre microscope, Mr Marschall Cliffort ?
De la brosse à dent en bambou que vous m’avez apportée, j’ai extrait un minuscule déchet, mis sous mon microscope.  Il s’agit d’un infime morceau d’oriculi, autrement dit, ne vous déplaise, un peu de cérumen.  Notez bien que nez, gorge, oreilles communiquent aisément chez l’être humain !

     Anne

Que voyez-vous sous la lamelle de votre microscope Mr Marshall Clifford ?
Je ne vais pas vous rabattre les oreilles avec ce mot étrange, dernière découverte des analyses poussées concernant les sacs cabas réutilisables.  Il s’agit d’un oriculi.  Oriculi, élément remplaçant les horribles phtalates des plastiques non recyclables.

     Annie

Que voyez-vous sous la lamelle de votre microscope Mr Marshall Clifford ?
-      Sans nul doute, un oriculi !

-      Je vous demande pardon ?

-      Un oriculi !  J’en ai déjà rencontré, quand je m’amuse à analyser mon environnement quotidien, le dimanche.  Eh bien, voyez-vous, ils pullulent dans ma gourde en acier inoxydable !

Sans se soucier des sourcils arqués de son enseignant, le jeune Marshall continua dans sa barbe clairsemée :

-      Il faut dire que le l’ai utilisée une seule fois pour une randonnée l’année dernière et que, depuis, je n’ai plus jamais tenté de sortir de la ville.  Ils ont eu le temps de se développer.

Le professeur, de plus en plus irrité, se racla la gorge

-      Je les ai nommé « oriculi » parce qu’ils ont comme de petites oreilles, là, sur le côté.  Vous les voyez ?

Sidéré, l’homme se massa ses sourcils broussailleux, se pinça le nez et, tournant les talons, il grommela :

-      Encore des heures de rattrapage pour vous, Mr Clifford…

     Camille

Que voyez-vous sous la lamelle de votre microscope Mr Marshall Clifford ?  Je vois une foultitude de bactéries, des pathogènes avec un superbe oriculi dévoreur de plastiques qui, hélas, peut nous conduire à l’hôpital.  Sous ma ventilation, aspiration plutôt, et mes gants étanches de laborantin, je ne crains rien !  Une pose et je remets en service ma boule à thé pour une deuxième passe, histoire d’économie, et comme elle aura trainé un peu partout, je m’amuserai à mettre des restes sur une lamelle.  Je ferai certainement de belles découvertes !

     Cécile

Que voyez-vous sous la lamelle de votre microscope Mr Marshall Clifford ?
Ҫa dépend de la luminosité extérieure.  À la pleine lune, lorsque j’y introduis du savon solide, la lamelle réfléchi une lumière verdâtre se mariant avec la clarté de la lune.

À la lumière du soleil de midi, le savon se transforme et s’irise telles les plumes de l’oriculi, celui-là même qui chante à tue-tête dans les hêtres du Plateau de Sault.

     Françoise

Que voyez-vous sous la lamelle de votre microscope Mr Marshall Clifford ?
Je crois que c’est un oriculi, de la famille des perce-oreilles, mais invisible à l’œil nu.  Il est efficace pour la décomposition des oreillettes, spécialité farine-sucre-orange qui se vendent dans les fêtes de village.  Ô déchets garantis !  Au fait, Justine, faits-moi un petit café avec ta fameuse cafetière à piston.  Tu en boiras bien un avec moi ?

     Marie-Jo


Que voyez-vous sous la lamelle de votre microscope Monsieur Marshall Clifford ?
Quelque chose qui me semble bien intéressant car, dans cette molécule de soude composant le savon de Marseille, nous allons introduire quelques oriculis rapportés d’Amazonie par nos chercheurs en phytopharmacie.  Et je pense que notre shampoing solide pourra prendre le pas sur tous ces shampoings liquides qui nécessitent tant d’emballages plastiques.

     Odile

Que voyez-vous sous la lamelle de votre microscope Mr Marshall Clifford ?
-      Eh bien, je vois les veinures horizontales qui composent la surface d’un oriculi

-      Un quoi ?

-      Un oriculi.  Je reconnais bien là votre ignorance notoire.  Il s’agit d’un gant très particulier que l’on porte sur l’annuaire et l’auriculaire, fabriqué dans un matériau très fin, 100% recyclé, qui reconstitue quasiment la texture de la peau et permet de prodiguer aux vaches, chèvres, moutons, un massage en douceur du creux de l’oreille sans se salir les doigts, et sans douleur aucune pour l’animal.  Ah mince, je ne vois plus rien… où est le chargeur de piles que je recharge les piles de mon microscope !...

     Sandrine


3ème jeu : Chacun écrit sur un papier, qui ira au chapeau, LA chose qu’il ne jettera jamais.   Après, chacun choisi un livre dans la médiathèque et en relève la dernière phrase.  Elle servira d’incipit… pour le voisin.  On relève une phrase en commun issue d’un texte du jeu précédent, elle est écrite au milieu de la feuille. Nous écrivons et les mots du chapeau sont tirés au hasard et lus à voix haute.  Ils doivent être introduits dans le texte dès qu’ils sont énoncés.

Pour contribuer à faire du président américain un archétype de la pop culture, tour à tour super méchant ou cliché éculé, il va falloir s’accrocher.  Mais peut-être est-ce possible grâce à la bague magique offerte par la fée des étoiles américaines, il parait qu’elle fait de grandes choses.  Lorsqu’elle met son masque africain, le président, s’il porte la bague à ce moment-là, met aussitôt une musique africaine sur son MP3, mais dès que la fée remet son chemisier ajouré, le président retombe dans ses bas instincts, cliché éculé masculin par excellence.  Une fois calmé par de la musique pop, il arrive à succomber au charme du livre de poèmes d’Achille Chavée.  Mais je ne vais pas vous rabattre les oreilles avec tous les actes du président, quoique, outre la bague magique, les bracelets en argent offerts à la première dame américaine sont capables de jeter des mauvais sorts sur les décisions du président.  Par exemple, lorsqu’il a décidé de mettre au rebus la théière en fonte, tous les écolos lui sont tombés dessus en jouant de la guitare sous sa fenêtre car la fonte pollue la planète Terre.

     Anne

Faut pas confondre le premier et le dernier.  Toute ma vie d’enfant, mes parents m’ont rabâché que les derniers seront toujours les premiers.  Ma bague stomacale s’est tout d’un coup retournée en repensant à ces périodes d’éducation religieuse.  Je me suis réconfortée en regardant intensément le sourire énigmatique de mon masque africain.  Ma voisine frappa à la porte, toute pimpante avec son chemisier ajouré, toute excitée me disant : « je ne vais pas vous rabattre les oreilles mais mon livre de poèmes d’Achille Chavée m’a fait entrevoir un univers érotique hors du commun ».  Je lui proposais un thé au lait, agitant mes bracelets en argent dans cette préparation pour éviter qu’elle ne me jette un mauvais sort.  C’est sa spécialité et je la vois toujours débarquer avec anxiété.  Je rempli donc ma théière en fonte du Népal de Tchaï épicé et lui proposais de jouer un petit air sur ma guitare, pour apaiser ses tensions.  Que d’étranges personnages sur cette planète Terre !

     Annie


Et je me plais à imaginer que peut-être, là où il est, il s’est réjoui de ce nouvel épisode ajouté à ses aventures.  Moi, je m’en souviendrai avec nostalgie, le cœur gonflé.  Oui, c’était insensé.  Mais aussi tellement vivant !  Il me reste une bague de fiançailles avec ma liberté.  Jamais, je ne me laisserai emprisonner.  Pas après avoir connu cela.  Des peines, des difficultés, de la peur, bien sûr nous en avons traversées.  Mais comme un masque africain, c’est initiatique.  C’est l’effrayant pour se dépasser.  L’histoire pour grandir.  Je ne vais pas vous rabattre les oreilles avec mes récits encore et encore.  Je suis assise dans mon fauteuil, j’ajuste sur mes épaules mon chemisier ajouré, le regard perdu au-delà de la fenêtre, au-delà du présent.  Contrées, vallées, montagnes et désert défilent sous mes yeux grands ouverts.  Je relis pour la millième fois mon livre de poèmes d’Achille Chavée.  La saveur en a changé.  Les mots sont imprimés sur le papier mais ils résonnent autrement, accompagnés du tintement de mes bracelets en argent, ceux que j’ai ramenés d’Inde.  Le rythme des vers danse avec les battements de mon cœur.  Le goût des épices, l’odeur de l’humus, la gifle du vent… Une profondeur nouvelle imbibe chaque phrase, chaque pensée.  Moi qui me voyait victime d’un mauvais sort, enfermée dans ma routine, déprime.  Incapable de faire ce qu’on attendait de moi.  Oui, c’était vrai, en quelque sorte.  Mais je n’étais pas la fautive.  C’était le moule qui ne correspondait pas.  Je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie, maintenant qu’il est parti.  J’attrape ma théière en fonte.  Un thé japonais m’éclaircira les idées.  Je le savais qu’il ne resterait pas.  Que je ne passerais pas non plus ma vie sur les routes avec lui, sac au dos et guitare à la main.  Maintenant, il me reste à entretenir le feu de la passion.  Voyager encore ?  Peut-être, mais avec un objectif alors.  Autre que vagabonder pour le plaisir.  Une seule chose m’est certaine : j’ai un rôle à jouer et je me sens enfin avoir une place sur ma planète Terre.  Reste à la trouver !

     Camille

Le 106 bars, le millième doudou vivant a été certifié par l’office informel des enfants crédibles.  Oui, les enfants sont toujours totalement crédibles, a-t-on besoin d’un organisme certificateur ?  Une bague au doigt a-t-elle besoin d’être liée au mariage ?  Je ne crois pas, comme si mon masque africain devait absolument être numéroté dans un musée.  Il me semble que mon chemisier ajouré pourrait aussi être répertorié au musée du vêtement car qui sait aujourd’hui réaliser des jours ?  Tous ces répertoires sont bien ennuyeux et mon livre de poèmes d’Achille Chavée, mentionné dans le registre de la médiathèque, ne risque pas de s’échapper !  Il est fiché, nous sommes tous fichés !  Je ne vais pas vous rabattre les oreilles, mais mon bracelet d’argent pourrait lui aussi faire partie d’un inventaire historique.  Si un mauvais sort arrivait soudain, jeté par un homme horriblement mauvais, je pourrais le réduire en miettes et le mettre à infuser dans ma théière en fonte.  Le léger dépôt qui resterait parfumerait mes soirées où je joue de ma guitare, celle que m’avait offerte Hugo au retour de la lune, en remettant pied sur ma planète Terre, la mienne, la nôtre !

     Cécile

Il serait nécessaire aussi que les défenseurs d’hypothèses irréductionnistes et les sceptiques collaborent plus pour se débarrasser des scories obscurantistes qui empêchent que le paranormal soit pris au sérieux, particulièrement dans le monde académique.  Soyons bien conscient que le paranormal peut tout expliquer.  Des aigreurs d’estomac qui se transforment en bruits suspects ?  C’est ma bague, en relation direct avec les extra-terrestres, qui vous parle.  La plancher qui craque ?  En aucun cas cela ne relève d’incompétences architecturales.  Voyons-y plutôt la colère du masque africain qui voudrait rentrer dans son pays d’origine.  Une chasse d’eau qui s’écoule sans fin ?  Il n’y a là aucun gaspillage, c’est certain.  Un chemisier ajouré qui s’ajoure chaque jour davantage ?  Je ne vais pas vous rabattre les oreilles avec la prétendue perversion féminine.  Voyons-y plutôt un effet de la paranormalité de la gent masculine qui ne voit la femme que comme une proie.  Le paranormal émotionnel atteint son paroxysme quand je sors mon livre de poèmes d’Achille Chavée.  Mes oreilles se parent de bracelets en argent, les sons arrivent adoucis aux tympans et les idées, aussi noires soient-elles, atteignent le cerveau parées de beau-sens.  Il faudrait un mauvais sort pour briser ce moment d’extase poétique.  Et si ma théière en fonte venait à produire un café exécrable ?  Ce serait sans doute là l’action du chat noir du voisin qui m’empoisonne l’existence.  Si mon chien jouait de la guitare, il dirait à ce félin d’opérette d’aller écouter des sérénades sous d’autres balcons.  Et ce jour-là, la planète Terre tournerait à peu près paranormalement.

     Françoise

« Nul ne pourra débaptiser un bateau sans s’attirer les foudres des dieux marins » protesta le capitaine dont le bateau avait subi des avaries suite à une bague qui avait été introduite, par mégarde, dans la coque lors de sa construction.  L’armateur principal voulait faire débaptiser le bateau avant de le faire entrer dans un hangar, orné de masques africains, pour le faire réparer.  Cet armateur efféminé se promenait sur le quai affublé d’un chemisier ajouré.  Tout le monde se moquait de lui et les marins ne cessaient de répéter « regardez son chemisier ajouré ! ».  Le capitaine ne faisait que débiter des poèmes d’Achille Chavée tout en faisant cliqueter ses bracelets en argent.  « Je ne vais pas vous rabattre les oreilles plus longtemps » et il ferma le recueil,   soudain, immobile et muet comme si on lui avait jeté un mauvais sort.  Les femmes attablées aux terrasses restèrent perplexes et laissèrent presque tomber leur théière en fonte.  Le guitariste qui déambulait de terrasse en terrasse s’arrêta de jouer de la guitare.  On aurait dit que la planète Terre s’immobilisait.

     Marie-Jo

Si l’Indien blanc n’est pas mort, il court encore.  Court il vers une mégapole ou vers une plaine infinie et déserte ?  Grâce à la bague qu’il porte à son auriculaire, bague équipée d’une mini balise Argos, l’Indien rouge le suit du haut de son gratte-ciel, il ne s’agit de le perdre de vue.  Même s’il porte son masque africain, blanc il est, blanc il restera.  L’Indien rouge, après deux heures de veille sur l’écran, est remplacé par l’Indien jaune des steppes qui arrive dans un ravissant chemisier ajouré.  Sera-t-il tout aussi vigilant pour continuer la traque de l’Indien blanc ?  Enfin, je ne vais pas vous rabattre les oreilles avec le défilé des employés à la traque.  Mon livre de poèmes d’Achille Chavée pourrait nous donner des indices sur la course de l’homme blanc, mais peu de gens l’ont lu.  Aussi, faisant confiance au réseau informatique, on continue ce travail de repérage.  Pauvre Indien, s’il avait accepté des bracelets en argent plutôt que cette bague équipée, il aurait peut-être subi autre chose que ce mauvais sort.  Cours, cours, Indien blanc, avant que la mort ne te rattrape.  Porte avec courage ta théière en fonte, seul bien que tu transportes et qui te sauves des eaux croupies.  Si tu avais une guitare, tu pourrais trouver grâce auprès de certaines tribus habitant sur la planète Terre.  Cours, cours homme blanc avec ta théière en fonte.

     Odile

Dans les vals profonds qu’elles habitaient, toutes les choses étaient plus anciennes que l’homme et leur murmure était de mystère.  Le murmure ténu du vent dans les feuillages envahissait tout l’espace et la forêt toute entière semblait appartenir à l’éternité.  Comme une bague vissée à leur doigt par une main invisible, le chuchotement du silence les enserrait.  Un visage sculpté à même le bois de la porte aurait pu faire penser à une sorte de masque africain, mais le nez trop fin rappelait plutôt un être du petit peuple de la forêt.  Comme un lutin facétieux murmurant avec entrain : « je ne vais pas vous rabattre les oreilles ! »  Ou encore une fée au chemisier de dentelles ajouré de fleurs délicates qui veillerait sur les deux femmes avec bienveillance.  Tout un monde végétal, délicat autant que cruel qui me rappelait mon livre de poèmes d’Achille Chavée.  La forêt toute entière tintinnabulait aux oreilles, comme les bracelets d’argent qui ornaient le poignet de la plus jeune des deux femmes, animant d’une musique presqu’irréelle le moindre de ses mouvements.  Va savoir si une sorcière indélicate avait jeté un mauvais sort, ou si au contraire, une fée tranquille protégeait leur vie du monde des humains.  Devant l’âtre, trônait une théière en fonte fumante.  Tisane médicinale ou breuvage incongru ?  Mystère…  Une guitare suspendue à une branche faisait office de tringle.  Parfois, une douce mélopée mélancolique s’en échappait, domptée par les doigts agiles de la mère ou la fille et accompagnée d’un chant presqu’irréel.  Elles étaient fières de planter chaque jour leurs deux pieds dans la terre ferme et d’honorer de leur simple vie la planète Terre.

     Sandrine





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire