"UN PRESQUE JEU D'ENFANT" CHAP. 1 à 4

                                        un polar imaginé par Henri Wellman

 

   Galinagues, fin septembre 1995.                                       

        Le maraîcher s'activait dans les serres.  Il  termina le passage avec la moto-bineuse et commença à égaliser la terre avec un outil à trois griffes.  Il avait des semis à faire : des épinards, de la mâche, du cerfeuil, de la roquette, du cresson et du persil.

      'Nous sommes de nouveau en automne', se dit-t-il.  Douze ans déjà qu'il s'était installé comme maraîcher à Galinagues.  En bio.  C'était l'évidence même, sinon quelle autre agriculture prend une option sur l'avenir ? Aucune.  Il allait même plus loin que ses collègues maraîcher : il refusait catégoriquement les semences hybrides,  pas compatibles avec la bio, et n'utilisait que des variétés anciennes.  Pour lui le goût et la qualité étaient importants.   A mille mètres d'altitude il ne cherchait pas le rendement, contrairement à ses collègues maraîchers tous installés plus bas à Quillan, Limoux et Carcassonne.

        Il se souvenait, il y a douze ans, que tout le monde le disait être fou de vouloir faire maraîchage à Galinagues: trop haut en montagnes, trop froid, une saison de production trop courte, etc...  Maintenant il était très fier de sa réussite sans jamais avoir reçu un euro de subvention, contrairement à tous les éleveurs ici qui étaient bourrés en aides chaque année.  Il avait plusieurs fois agrandi sa surface de culture pour arriver à cultiver presque un hectare et demi.  Il avait des clients fidèles qui lui encourageaient énormément et il n'avait jamais assez de légumes à vendre.  Oui, il avait de quoi être fier. 

        Il sursauta des détonations des fusils de chasse.  'Oh là ! , ils sont tout près du village aujourd'hui ', grogna-t-il.  'Quel monde aussi les chasseurs.  Ils ne font pas preuve de beaucoup de respect.  Chaque weekend ils envahissent le village avec leurs 4 x 4, se garent n'importe où...  Le pire c'est les aboiements incessants des chiens de chasse.  Insupportable !'

        Il se disait que chaque weekend Galinagues était terrorisé par cette horde d'hommes, chiens et 4 x4.   Comment les respecter si eux ne montraient aucun respect ?

        Il prit le semoir, vérifia qu'il était équipé du bon disque, contrôla la profondeur du semis et versa les graines de mâche dans le réservoir.  Quelle merveille ce semoir.  Il semait, couvrait et tassait les graines et traçait la ligne suivante.  Quel plaisir et que du temps gagné. 

        Il poussa le semoir vers le milieu de la serre, quinze mètres allé et quinze mètres retour.  Combien de kilomètres il faisait chaque jour dans ce champ ? Sûrement un nombre respectable. 

        Il arriva au bout, retourna le traceur et reprit chemin.

        Soudain une nouvelle détonation, plus près cette fois-ci....  Quelque chose le frappa à la tête et se fût le noir complet...

                                              

                                                  CHAP   II

        Galinagues, samedi 16 mai 2017.

 

        L'homme gara sa voiture sur le parking à l'entrée du village.  Il prit le petit sac à dos posé à côté de lui, descendit de sa voiture et marcha vers le village. 

        Il vit le panneau 'Atelier Tournage sur Bois' et se dit qu'il allait y passer sur le retour.  Il monta la route vers l'église du village et trouva le fléchage 'Tour du Picou d'Arques', la promenade en boucle pour laquelle il était venu.

        Il longea la ferme 'Chant du Pissenlit', observa pendant un moment les poules et les chèvres et commença la descente. 

        'L'endroit a bien changé', pensa-il, 'ça doit faire combien d'années depuis la dernière fois ? Quinze, vingt ? Tous les efforts que j'ai fait pour oublier.  En vain.'

        Il arriva sur un chemin forestier, tourna à gauche et, suivant les flèches, prit vingt mètres plus loin le chemin à droite.  Ça montait fort.  Après cent mètres il s'arrêta sur le faux plat pour souffler un peu.  Il admira la vue sur la vallée du Rébenty.

        'Quelle belle journée', se réjouit-il, 'et quel superbe endroit.'  Le soleil brillait dans un ciel d'un bleu magnifique. Il avait toujours aimé faire des promenades et depuis qu'il était veuf, déjà deux ans, les sorties étaient devenues une nécessité.  Echapper à la solitude, pensa-il.  A soixante-quinze ans il se sentait encore en forme.

        Il reprit la marche.  Le chemin devenait étroit, passait entre les prunelles et les genêts et grimpait de nouveau vers un bosquet de pin.

        La flèche arriva en sifflant et le frappa en pleine poitrine.  Il tomba en arrière et sombra dans l'inconscience.

        Le tireur, habillé en chasseur, la tête masquée, sortit du bosquet et se dirigea d'un pas assuré vers le corps inanimé.  Il observa un petit moment l'homme par terre.  Il retira la flèche du corps avec sa main droite équipé d'un tir-flèche.  Il remonta le chemin et cent mètres plus loin arriva à sa voiture.  Il sortit un sac du coffre, dévissa son arc et remit les trois pièces obtenus dedans.  Il démarra et prit la route agricole direction Rodome. 

 

                                              CHAP. III.

        Galinagues, lundi 18 mai, 14h.

       

         Le lieutenant Jérôme Dubois gara sa voiture sur le parking.  Il sortit et vit un homme venir vers lui. 

        'Bonjour lieutenant, je suis adjudant Lebrun.  Je devais vous attendre et vous emmener sur le lieu du crime.  Ordre de l'adjudant-chef.' 

        'Ah, ça fait plaisir de voir qu'on prend soin de moi, adjudant.'  Il sourit.  'Allons-y alors.'

        'Nous pouvons choisir lieutenant.  A pied, ça prend vingt minutes.  En voiture, ça prend vingt minutes.'

        'Comment ça adjudant ?'  Il rigola.

        'C'est qu'en voiture on doit faire un détour, mais on peut se garer à cent mètres.'

        'Je vois.  J'opte pour la marche.  Il paraît qu'il faut bouger pour garder la santé.'

        'Excellente choix, lieutenant, surtout avec ce beau temps que nous avons depuis quelques jours.  Si vous voulez bien me suivre.'   Il se retourna aussitôt et marcha d'un pas sûr vers le village, le lieutenant derrière lui. 

        Dix-sept minutes plus tard ils arrivèrent sur le lieu de crime.  Lebrun se dirigea vers les gendarmes un peu plus loin.  Jérôme Dubois s'arrêta à vingt mètres et observa la scène.  L'équipe technique en combinaison spéciale s'activa autour de la victime allongée par terre.  Deux personnes cherchèrent des indices, des empreintes, des traces, une autre prit des photos.  Jérôme vit une quatrième personne à genoux près du cadavre.  'Le médecin-légiste', se dit-il.  Il regarda autour de lui, attiré par la vue panoramique. 

        'La nature est généreuse', pensa-t-il, 'elle y croit encore et elle donne toute sa splendeur chaque année, chaque saison de nouveau.  Et nous, les humaines, nous faisons quoi avec ? Nous ne respectons rien, nous la saccageons, gaspillons, nous voulons la dominer.  Quand est-ce que nous comprendrons que si nous voudrons survivre, nous devons travailler avec, pas contre ?'

        'Bonjour lieutenant, je suis adjudant-chef Rosenblum.'  Une voix mélodieuse le tira de ses pensées.  'Je suis responsable de la brigade de Belcaire.  Le procureur m'a mis au courant de votre venu.'

        Il se retourna et se trouva en face d'une superbe femme souriante.  La trentaine, cheveux blonds, yeux bleus, la beauté en un mètre quatre-vingt de hauteur. 

        'Quand on parle de clichés', songea-il, .

        'Lieutenant Dubois, adjudant-chef, et ravi de faire votre connaissance.'  Il en bégaya presque. 'Vous voulez bien me mettre au courant de cette histoire? '      

        'Bien sûr lieutenant.  Ce matin, la chevrière de Galinagues a découvert un homme mort sur ce sentier, un certain Henri Calvel selon ses papiers dans son portefeuille, retraité, soixante-quinze ans, veuf, et habitant Cazilhac.  Nous avons trouvé sa voiture sur le parking.  Nous pensons qu'il venait faire la promenade en boucle 'Le tour du Picou d'Arques', qui va d'ici vers Caillens-Rodome et revient sur Galinagues.  Deux gendarmes interrogent les habitants du village.  Pour l'instant personne n'a vu quoi que ce soit.  Le maire du village était ici il y a une heure, il est très préoccupé : un meurtre dans son village, ça bouscule la tranquillité.'

        'Oui, c'est compréhensible... Est-ce qu'il y a eu vol ?'

        'Apparemment non.  Carte bancaire et argent, presque deux cents euros, sont restés dans son portefeuille.'

        'Autre chose?'

        'Non, pas vraiment. Le médecin fait ses examens. Nous attendons'

        'Merci, je vais voir le médecin.'

        Il s'approcha du cadavre.  A cinq mètres il s'arrêta par peur de piétiner sur d'éventuels indices. 

        'Bonjour docteur, je suis lieutenant Dubois, en charge de l'enquête.  Je peux venir ?'

        La tête du combinaison se tourna vers lui et il vit le visage souriant, aux yeux verts, d'une quinquagénaire. 

        'Oui lieutenant, vous pouvez venir.  Ils ont fini leur recherche.  Moi aussi d'ailleurs.  Docteur Sarda, enchantée.'

        'Nous nous sommes pas encore rencontrés, docteur...  Vous êtes nouveau dans l'équipe ?'

        'Oui, j'ai envoyé ma candidature il y a deux mois et ce matin le procureur m'a appelle en  urgence...  peut-être mes collègues sont tous occupés ailleurs !', elle rigola.

        'OK ! Qu'est-ce que vous avez pour moi, docteur ?'

        'L'homme a été tué avec un outil pointu, d'un diamètre d'environ sept millimètre, enfoncé droit dans le cœur.  Net et efficace.  Pas traces de lutte, pas de bleus. La mort monte à sûrement quarante heures, peut-être plus.  Je peux faire l'autopsie demain dans la matinée.  Après je saurai peut-être plus.'

        Jerôme regarda le cadavre allongé sur le dos, un homme agé, presque chauve, maigre, le visage tout blanc, pas d'expression de peur ou d’incrédulité, et sa chemise détrempée de sang au niveau du thorax.

        'Pour l'arme de crime, nous devons chercher quoi exactement ?'

        'Quelque chose de très pointue, genre pic à glace, pointeau, long clou, à vous de choisir.  Je verrai bien demain si je trouverai plus d'information.  Est-ce que nous pouvons enlever le corps ?'

        'Oui, bien sûr.  Vous me contacterez quand vous en savez plus ?  Voici mon numéro de portable.'  Il donna sa carte.  'Merci docteur.'  Il sourit.

        'Ça marche, lieutenant, et bonne chance.'

        Il interpella les techniciens.  Aussitôt un homme grand et costaud vint vers lui.  Il enleva la capuche de sa combinaison et Jérôme reconnut ce visage carré et la coupe en brosse des cheveux. 

        'Lieutenant.'  L'homme hocha la tête et sourit.

        'Salut, adjudant Belôch, on se retrouve !  Toujours la forme je vois !'  Il apprécie bien ce grand gaillard.  Ils avaient travaillé ensemble sur deux autres enquêtes et Jérôme a été impressionné par ses compétences.

        'Qu'est-ce que ça donne ?'

        'Pas grand-chose, pour ne pas dire rien.  Pas d'empreintes sur la victime, pas de traces de pas, pas d'indices, pas d'arme de crime.  Pas de traces de lutte non plus.  Désolé, lieutenant.  Il nous reste sa voiture à examiner,  on ne sait jamais.'

        'Oui, on ne sait jamais.  Merci, adjudant.'

        Il se retourna et alla retrouver la Rosenblum.  Elle ferma juste son portable.

        'L'enquête dans le village n'a rien donné, lieutenant, personne n'a vu quoi que ce soit.'

        'De ce côté pas grand-chose non plus.  Aucun indice, pas de traces.  Nous devons chercher un outil pointu comme arme de crime.  Facile, non ?'  Il rigola.  'L'équipe technique a fini.  Ils embarquent le corps et je pense que vous aussi, vous pouvez tout enlever.'

        'Bien, lieutenant.  Vous pensez venir à la brigade aujourd'hui ?'

        'Non.  De toute façon nous n'avons rien.  Nous devons attendre les résultats des analyses et de l'autopsie.  Si vous pouvez contacter les collègues de Cazillac pour qu'ils interrogent les voisins de Mr. Calvel. Je vais informer le procureur. Il va sûrement faire une annonce à la presse'.

        'C'est noté lieutenant.  A demain alors'

        'Vous pouvez me contacter en cas de nouvelles urgentes.  Voici ma carte avec mon numéro de portable.  Je serai à la brigade vers neuf heures et demi demain.'

        Elle lui sourit.  Un sourire, beau et naturel qui touche au plus profond et qui te fait fondre comme la neige au soleil.

        Il reprit le chemin vers le village.  Vingt minutes plus tard il démarra sa voiture et rentra à Carcassonne.

                                                                               

                                               CHAP. IV.

        Belcaire, mardi 19 mai.

 

        Ce beau temps depuis une semaine ne pouvait pas continuer.  Il pleuvait quand lieutenant Dubois entra à la brigade à neuf heures trente précis.  Il y retrouva l'adjudant Lebrun. 

        'Bonjour lieutenant, l'adjudant-chef m'a demandé de vous montrer votre bureau provisoire.  Elle a dû sortir pour une urgence.  C'est par là !'

        Il montra une porte ouverte sur un petit couloir.  Il devança le lieutenant, ouvrit une porte à droite et invita le lieutenant à entrer.

        'Elle a posé de la lecture sur le bureau.  Je vous laisse.  N'hésitez pas à m'appeler si besoin.

            Jérôme alla s'asseoir et ouvrit le mince dossier de l'enquête. Il commença à lire.  La porte à porte à Galinagues n'avait rien donnée. Personne ne se souvenait d'avoir vu le promeneur. Personne ne connaissait Henri Calvel  .Il y avait aussi le compte rendu des collègues de Cazilhac.  Les voisins le décrivaient  comme un homme paisible, sans histoire, réservé, vivant seul depuis le décès de son épouse. Qui pouvait vouloir faire du mal à cet homme agréable.  Jérôme  apprit aussi que la victime a ou plutôt avait un fils, Jean-Pierre,, habitant Limoges.

        Il ferma le dossier et soupira.  Il pensa au coup de téléphone du procureur, hier matin.  Ce dernier commençait à  lui confier de plus en plus d'enquêtes.  Il fallait avouer aussi que les deux derniers dossiers, il les avait bouclés très vite.  La chance ?  Le hasard ?  Il n'y croyait pas.   Il aimait son travail et trouvait passionnant ce jeu de chat et souris entre lui et le coupable.  Il voyait des choses horribles et atroces aussi, certes, qui le faisaient douter de l'humanité et de la société, mais cela ne l'empêchait pas d'être enthousiaste et passionné. 

        Il trouvait que jusqu'à ce jour il avait fait un bon chemin.  D'abord ses études supérieures en science jusqu'à obtenir un master avec mention très bien.  C'est pas mal quand-même ! 

        Trouver du travail après était autre chose.   Il avait eu des offres, mais rien de passionnant.  Après deux mois de recherches et des doutes,  il sentait monter en lui un besoin de faire autre chose.  Il s'inscrivait sur le site www. Wwoof et dans cet élan il avait fait son sac à dos.  Il restait plus d'un an en Afrique, côté est pour aussi approfondir son anglais.  D'abord Tanzanie, après Ouganda et Kenya.  Il y travaillait sur des fermes bios cultivant fruits et légumes et apprenait à fabriquer des ruches en bois  avec des outils simples.  C'était une période intense et riche en expériences et rencontres.

        De retour en France il avait eu une période difficile pour s'adapter à ce monde de surconsommation.  Ici nous nageons dans l'abondance, nous nous rendons même plus compte et le pire, nous osons râler pour des petites choses superflues.  Il en avait honte parfois. 

        Après avoir lu une annonce de la gendarmerie qui cherchait des scientifiques pour la section judiciaire à l'école des officiers à Melun, il s'était inscrit presque sans réflexion et avait passé les tests facilement.  Deux ans après, il avait vingt-sept ans, il sortait lieutenant. 

        Dans les places disponibles, il optait pour Carcassonne et voilà, treize ans après, il y était toujours.

        'Bonjour lieutenant !'  La voix mélodieuse de Rosemblum le sortit de ses pensées.  'Vous êtes bien installé ?'

        'Oui, merci adjudant-chef.  Asseyez-vous s'il vous plaît.'  Il sourit. 'Parlons enquête !'

        'La récolte est plutôt pauvre, je dirais.  J'ai eu les collègues de Limoges au téléphone.  Ils ont parlé avec le fils Calvel, Jean-Pierre.  Ils trouvaient le fils sincèrement ému et choqué par la mort violente de son père.  Il ne comprend pas pourquoi.'

        'Est-ce qu'ils ont demandé ce qu'il faisait le week-end dernier ?'

        'Oui.  Il disait avoir passé samedi et dimanche avec sa femme et avoir reçu la visite de son fils et sa copine dimanche midi.  Ils ont mangé ensemble.   C'est confirmé par sa femme et son fils.'

        'Et vendredi ?'

        'Il est fonctionnaire.  Il travaille au centre des impôts à Limoges où il était vendredi matin.  C'est confirmé par nos collègues.  Donc ce n'est pas lui.'

           'Le procureur compte faire une annonce à la presse cette après-midi. Il attend des nouvelles de moi. Ça va être bien maigre'.

        Un silence s'installait un petit moment.  Jérôme attrapa son portable et chercha dans les contacts le numéro de Belôch.  Il appuya sur 'appeler'.

        'Bonjour, Belôch au téléphone.'

        'Bonjour adjudant, ici lieutenant Dubois.  Vous allez bien j'espère, oui ?  Alors, vous avez trouvé quelque chose hier ?'

        'Je crains que non lieutenant.  L'inspection de la voiture n'a rien donné.  Nous avons trouvé plusieurs empreintes, celles de la victime évidemment et d'autres, mais aucune se trouve dans nos fichiers.  La voiture était très propre d'ailleurs.  Nous avons cherché partout sans rien de concret.'  Il se tut.

        'Quel est votre conclusion ?'

        'Que le tueur sait s'y prendre.  Ne laisser aucune trace, il faut le faire.  On dirait que le tueur n'était pas là.  C'est bizarre.  Il n'y a pas eu de lutte, alors est-ce que tueur et victime se promenaient ensemble ?  Est-ce qu'ils se connaissaient ?'

        'Je me pose les mêmes questions.  Merci adjudant.  Si vous trouvez quelque chose appelez-moi.'

        'Bien sûr lieutenant.  A bientôt.'  Il raccrocha.

        Jérôme regarda Rosenblum : 'L'enquête judiciaire n'a rien donné jusqu'à maintenant.  Il nous reste l'autopsie encore, j'attends l'appel du médecin-légiste.  Je me demande pourquoi un retraité, habitant près de Carcassonne vient se faire tuer sur un sentier de promenade en Pays de Sault ?'

        'Oui, voilà la question.'  Elle hocha la tête en le regardant.

        'Cette enquête', remarqua-t-il,  'démarre difficile : un meurtre vieux de quarante-huit heures, un endroit isolé en montagne, un tueur très prudent.'  Il soupira.

        Lebrun frappa à la porte, restée ouverte.  'Excusez-moi de vous déranger, il y a une journaliste à côté. Elle a appris pour le meurtre et elle veut en savoir plus.'

        Ils se regardèrent tous les trois.

        'Et voilà', soupira le lieutenant, 'les vautours arrivent.  Ça devait arriver tôt ou tard.  Je vais lui parler, peut-être même qu'elle peut nous être utile.'

        Il sortit du bureau et entra à l'accueil.  Il se trouva en face d'une femme, les trentaines, cheveux noirs jusqu'aux épaules, yeux verts, mince et belle.   Elle portait un imperméable noir sur un jeans. 

        'Bonjour, Annie Marigot.  Je suis journaliste pour l'Indépendant.  J'ai eu des échos d'une découverte d'un cadavre.  Est-ce que c'est vrai ?'

        'Bonjour, je suis lieutenant Jérôme Dubois.  On peut dire que vous êtes directe !'  Il sourit.  'Pour répondre à votre question, oui c'est vrai.  On m'a chargé de l'enquête.'

        D'une geste rapide elle sortit un dictaphone de sa poche et le tint entre eux deux.  'Alors lieutenant Dubois, de quoi il s'agît ?'

        'Attendez !  Vous voulez bien l'éteindre ?  J'ai d'abord à vous parler.'

        Elle le regarda avec ses beaux yeux verts, incrédule, mais éteignit l'appareil.

        'Merci.'  Il l'invita à s'assoir.  Elle hésita, visiblement mal à l'aise.

        'Bon, mademoiselle Marigot, j'ai en fait un service à vous demander.  Nous n'avons aucun indice sur ce meurtre : pas de témoin, pas de trace, pas de piste. Le procureur veut faire une conférence le plus vite possible. J'attends les résultats des analyses.  Vous voulez bien faire un appel aux témoins dans votre article ?  Et écrire juste les faits et pas de spéculation !'

        'Contre quoi, lieutenant ?'

        'L'exclusivité de l'enquête.  Je vous tiendrai personnellement au courant des suites.'

        Elle réfléchit un bref instant et hocha la tête.  'D'accord.'

        Il indiqua le dictaphone et lui raconta tout ce qu'il savait au sujet du meurtre du Tour de Picou.  Après ils échangèrent leurs cartes de visite et il l'accompagna jusqu'à la porte.

        ' Au revoir, mademoiselle.'

        'Au revoir, lieutenant.'

        Il retourna dans son bureau.  Le bruit strident de son portable le fit sursauter. 

        'Lieutenant Dubois, bonjour.'

        'Bonjour lieutenant, docteur Sarda à l'appareil.  Je viens de finir l'autopsie.  Comme je vous avais dit, la victime a été tuée avec un outil pointu d'un diamètre de sept millimètres.  L'outil a cassé un bout de côte, a traversé le cœur et s'est planté contre la colonne vertébrale.  Un vertèbre a été cassé sous le choc.'

        'Vous en déduisez quoi ?'

        'Que l'outil a été planté avec beaucoup de violence, de force et surtout de détermination.  Je dirai que le tueur était sûr de lui, très en colère, certes, mais qu'il se maîtrisait bien.  Un, un seul coup brutal et mortel.   On voit ça rarement.   Il y a presque toujours plusieurs coups dans des attaques comme celle-là.'

        'Autre chose ?'

        'Pas vraiment.  Je peux encore vous dire que la victime était en bonne santé pour son âge.  J'ai pris des prélèvements autour de la blessure en cas où l'outil aurait laissé des traces.  J'ai pas trouvé d'ecchymoses.  Il n'y a pas de trace de lutte.  On dirait que le tueur ne l'a pas touché du tout.'

        'L'adjudant Belôch m'a fait la même remarque...'

        'Ben, vous voyez.  Je suis désolée.'

        'Merci de m'avoir appelé docteur.  Si vous trouvez autre chose, tenez-moi au courant.'

        'Ça va de soi, lieutenant.  Je vous envoie le compte-rendu de l'autopsie.  Au revoir.'

            Il  raccrocha.  Il ferma les yeux et pensa à  l'information qu'on venait de lui communiquer.

        'Vous allez bien, lieutenant? 

        Il sursauta,  Il n'avait pas entendu entrer Rozenblum.

        'Oui,  ça va.  Je pensais à l'enquête.'

        'Et? '   Elle vint s'asseoir devant le bureau.

        'Nous n'avons rien trouvé.  On me dit à chaque fois que c'est comme si le tueur n'était pas là. Alors, quoi penser?'

        'Et si on mangeait? Il est midi. Lebrun vient de partir chez lui. Il habite ici à Belcaire. Et vous?

Vous sortez ou vous mangez ici? '

        'J'ai amené à manger'.

        'Moi aussi, je mange ici.  Nous avons une petite cuisine à côté. On peut s'y installer'

        Jérôme attrapa  son sac et la suivit  Elle ouvrit une porte dans le petit couloir et ils entrèrent dans un local très lumineux.  Une grande porte fenêtre donnait sur un bout de pelouse derrière le bâtiment.  Une petite cuisine était installée à gauche et à droit se trouvaient une table et deux sièges.  Ils s'installèrent.

        'Dommage qu'il pleut, c'est raté pour manger dehors!'  Elle sourit.  Il détourna la tête avant de fondre.  Il regarda par la fenêtre et vit la pluie tomber drue. Il ouvrit son sac et en sortit une assiette avec  couvercle, le tout en bois.

        Elle l'observa: 'C'est trop beau ça!  Vous l'avez trouvée ou ?'

        'L'année dernière, mon épouse et moi, nous sommes allés à la foire bio à Couiza.  Il y avait un tourneur sur bois, spécialisé dans la vaisselle en bois.  J'ai craqué pour cette assiette.  Et quel plaisir de manger là-dedans.  J'ai même acheté une fourchette en bois !'  Il prit l'assiette, enleva le couvercle et admira le contenu : salade composée de feuilles de batavia mélangées avec des herbes aromatiques, cerfeuil, persil, coriandre et cresson, des haricots rouges et des céréales, riz et quinoa mélangé, saupoudré de graines de courges grillées.  Voyant tout ça il se rendit compte qu'il avait grand faim.

        'Ça m'a l'air très appétissant.  Je  comprends pourquoi vous n'allez pas manger au resto.'

        'Les restos sont en générale très carnés, et je m'imagine qu'ici en Pays de Sault c'est encore pire : de la viande partout !  Je n'en mange plus.  Ça ne veut pas dire que je suis végétarien, je mange du poisson parfois.  Ma femme et moi, nous avons fait notre choix et je me sens bien avec.  Je ne juge pas ce que les autres mangent.'

        'Je vois les herbes...  Je suppose que vous avez un potager ?'

        'Oui en effet.  Céline, mon épouse, s'en occupe principalement.  Elle est infirmière, mais quand elle était enceinte,  elle a  pris la décision d'arrêter son travail et d'être disponible pour l'enfant.  Nous mangeons beaucoup de légumes et avec le potager nous sommes autonomes en fruits, légumes et légumineuses.  Cela représente un grand budget et additionné à mon salaire, on s'en sort pas mal financièrement.  Ça fait plaisir à tout le monde : Céline est ravie, elle est très épanouie depuis sa démission, pour moi chaque fois je me régale au repas et pour les enfants il y a toujours la maman dispo !'

        'J'ai l'air de quoi maintenant avec mes tartines au fromage ?'  Ils rigolèrent.

        'Ah les produits laitiers, c'est dangereux de les critiquer dans un pays où la production et la consommation du fromage sont le sport national !'

        Ils commencèrent à manger.  Une fois de plus Jérôme fut étonné par les saveurs de sa nourriture.  Pour lui sa femme était une vraie fée de cuisine !

        'Et vous Rosenblum, qu'est-ce que vous êtes venue faire ici ?'

        'Parfois je me pose aussi cette question.  J'ai grandi dans un patelin perdu dans les Alpes où mon père était chef de gendarmerie.  Il a pris sa retraite entre-temps.  Après le lycée je ne savais quoi faire.  Etre utile, le social, l'action, etcétéra m'ont attiré vers ce métier et je suis entrée à l'école de gendarmerie à Grenoble.

        'Et le Plateau de Sault alors ?'

        'J'ai passé plusieurs années à Gap.  Je commençais à avoir marre de la ville, le non-respect, supporter des insultes des jeunes, même des menaces et surtout le stress.  J'ai fini par demander ma mutation vers la campagne, peu importe où.  Je suis venue ici il y a trois ans et je ne le regrette pas !  Surtout maintenant avec les attentats et la psychose qui s'installe partout.   Etre flic en ville ça devient intenable !  J'ai l'impression qu’ici nous sommes assez proches de la population.  Par contre c'est très regrettable qu'on nous met la pression pour arriver à un certain nombre de contraventions.  J'entends les reproches que nous sommes là que pour contrôler et emmerder, mais qu'on ne nous voit pas quand il y a cambriolage.

         Jérôme acquiesça. 'Oui, je comprends.  C'est toujours pareil.  Nous nous trouvons coincés entre notre bon sens et les décisions prises par nos chefs.  Ils ne peuvent pas faire autrement, ils doivent pondre un œuf de temps en temps pour justifier leur bureau.  Et comme ils ne sont pas sur le terrain...

        'Rosenblum rigola avec cette remarque.  'C'est exactement ça !'

         Et parfois je pense que les gens ont raison.  Nous faisons de plus en plus dans le social et je peux vous dire que cette société va mal : des malades mentales, de la haine, l'intolérance, les disputes pour un rien, les zizanies et j'en passe !'  

        'Vous vivez seule ?'

        'Pour le moment oui.  J'ai eu des relations, mais j'ai l'impression d'attirer que des abrutis !'  Elle rit. 'Quand ils découvrent que je suis flic, ils sont d'abord surpris et après ça les arrange pour annuler leurs amendes.  Je n'en pouvais plus... et maintenant j'attends.  Mais j'avoue qu'avec l'âge je deviens plus exigeante.  Les hommes intéressants sont pris, évidemment !

         Mais vous lieutenant, comment ça se fait que vous travaillez seul ?'

        'Je ne le fais pas.  C'est juste que mon co-équipier Hervé est en arrêt maladie.  Il est à quelques mois de sa retraite et il en a marre.  Je crains qu'il ne va plus reprendre le travail.  On bosse ensemble depuis environ treize ans et il m'a tout appris.  Je le considère un peu comme mon mentor.  C'est quelqu'un de bien, honnête, agréable... je l'aime bien.  On veut m'imposer quelqu'un d'autre, mais j'ai refusé.  Je veux d'abord savoir s'il revient oui ou non.'

        L'adjudant Lebrun poussa la porte avec un bonjour jovial.  Rosenblum sursauta.  'Déjà l'heure !  Que les moments agréables passent vite.'

        Jérôme lui donna raison.  Il se leva, ramassa ses affaires et les rangea dans son sac.  'Bon Rosenblum, Lebrun, je ne vais pas vous retenir plus longtemps.  Je retourne à mon bureau à Carcassonne.  Merci pour votre accueil.  Je vous tiens au courant des suites de cette affaire.'

        Ils se serrèrent la main et le lieutenant quitta la brigade.

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