le 21 octobre 2019: le Japon



un 1er jeu pour deviner des mots d’origine japonaise passés dans la langue française, suivi d’un 2ème jeu pour se donner 6 mots chacun, issus de nos stéréotypes sur le Japon



Pour le 1er texte, nous disposons d’un incipit (tiré de La danseuse d'Izu de Kawabata)

de 6 mots issus du 2ème jeu et, en cours d’écriture, des mots sont tirés du chapeau (ceux du 1er jeu) et doivent être placés au plus vite dans le texte.


Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient.  « Pourquoi marcher si vite ? » 

A cette réflexion, je ralentis ma marche.  Les oiseaux se tenaient immobiles, nobles sur leurs longues échasses, ils déambulaient tels les dignitaires de l’empereur.  Les feuilles mortes formaient un tapis colorés sous mes pieds et sous les pattes d’oiseaux.  J’admirais ce parc de Tokyo qui, à l’automne, resplendissait de lumière.  Le jardinier réalisait des merveilles tout au long des allées.  Soudain, une geisha apparu au détour d’un sentier.  Elle s’était arrêtée pour lisser son kimono.  Quel tableau !  On aurait dit une des nombreuses estampes qui ornaient mon séjour.  Soudain, je réalisais que je n’avais encore rien mangé.  Une crêpe mikado ferait bien l’affaire (banane enrobée de chocolat), miam !  Je quittai le parc féérique et je me rendis à la crêperie du coin.  Là, triste nouvelle, la serveuse m’appris que son oncle venait de se faire hara-kiri.  Elle en était toute bouleversée.  Son visage était ravagé de tristesse et dans ses yeux on aurait dit qu’un tsunami était passé.  Je n’avais plus envie de manger de crêpe.  Je balbutiai une excuse et un mot de consolation et je sortis.  Je rentrerai chez moi et mangerai les boulettes de riz qui me restent dans le frigo.  Tout en passant l’allée de graviers blancs qui menait à ma maison, je me fis la réflexion que c’était l’année du tigre : il ne fallait donc pas se laisser décourager par de mauvaises nouvelles et aller de l’avant.

     Anne

Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient.  « Pourquoi marcher si vite ? » 
Lumi attendait Vincent patiemment, l’ombre d’Hiroshima planait dans sa mémoire.  Celle du pêcheur près de sa barque sur le lac rappelait ces estampes anciennes.  Lumi, dans la lumière, vêtue de son somptueux kimono, avait l’allure d’une geisha, d’un autre temps aussi.  Les sushis qu’ils avaient apportés pour un pique-nique au bord de l’eau dans ce cirque fabuleux de montagnes où les sapins emmêlés n’étaient sans rappeler un jeu de mikado.  On aurait dit que la forêt s’était fait un hara-kiri titanesque.  Le renard à neuf queues, hiératique sur son rocher, était là pour témoigner de ce tsunami d’arbres bouleversés par les geysers du lac

     Annie

Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient.  « Pourquoi marcher si vite ? » 
Une longue enjambée dépliée après l’autre, les grues ont elles seules appris à maitriser l’art de la marche.  Les ridules du bord de l’eau, l’élégance des mouvements, le gracieux port de tête, n’ont rien de comparable aux foules pressées sous des parapluies d’Osaka.  De tous les êtres humains, seuls les geishas et les samouraïs peuvent se targuer d’une danse de couple, de leurs jambes entrelacées et déliées tour à tour.  Les pans de tissus adroitement ajustés du kimono s’ouvrent, se plient, s’étirent, respectant l’amplitude et la précision de la démarche.  La patience, le calme, le souffle, le regard aiguisé et une certaine intuition acquise au cours d’heures à jouer au mikado nourrissent la gestuelle de tous les corps.  Un pas de travers, hors de la ligne, un trébuché, une buttée, et tout s’écroule, sabre en travers du cœur, hara-kiri de la perfection.  Et tout est à recommencer.  Patiemment, observer les félins et les oiseaux, les mouvements des branches et des feuillages, la stabilité de la montagne enracinée.  Autant de valeurs que le pêcheur attrape au bout de sa ligne et incorpore à son ballet.  Avec délicatesse, comme il déguste ses tempuras ou esquisse un personnage de bande dessinée, tendu vers la perfection de l'œuvre, du geste, de la saveur.  Le maitre accueille chaque signe, chaque chant, chaque courant d’air et sent venir, depuis le sommet de cette montagne, le tsunami qui nait au fond de l’océan.

     Camille

Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient.  « Pourquoi marcher si vite ? » 
Le Mont Fuji était au loin, tout restait calme, alors je ralentissais.  Ma démarche se faisant plus calme me permis de penser au calligraphe que j’étais et à ma geisha préférée avec qui je buvais le saké.  Je m’étais arrêté, dans mon kimono bien ajusté, manger du poisson aux bords du ruisseau sur le pont de bois, qui n’était pas fait de mikado même si ses branches serrées et fines pouvaient y faire penser.  Miyasaki ne s’était pas fait hara-kiri, nous l’aurions su par les ondes de tout le pays et le peuple se serait réuni en un grand rassemblement, une onde tel un tsunami géant emportant tout sur son passage.  Mais non, rien de tel, tout était et restait calme.  Mes pas me rapprochaient doucement du Mont Fuji dont les contours se dessinaient bien mieux que ce matin, à mon départ, les feuilles mortes crissaient moins car l’humidité avait envahi les lieux.  Que c’était beau !

     Cécile

Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient.  « Pourquoi marcher si vite ? » 

Le Sumo ralentit le pas, essoufflé et s’assied face au Mont Fuji.  Le silence s’installa, la splendeur du paysage le submergea.  Bientôt ses pensées l’emmenèrent loin, vers sa dernière nuit avec sa geisha.  Elle avait défait son kimono et s’était offerte.  Non, ils n’avaient pas joué aux mikados mais aux jeux de l’amour.  Au petit matin, avant de se quitter, ils avaient mangé des tempuras.  Ces instants de bonheur valaient mieux que de se faire hara-kiri.  Tiré de ses rêveries par les aboiements d’un chien, il se leva et se dirigea dans l’allée des cerisiers en fleurs, ému comme il pouvait l’être à chaque fois qu’il passait là.  Il espérait que jamais ne se produise un tsunami qui viendrait effacer toutes ces beautés naturelles.

     Évelyne

Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient.  « Pourquoi marcher si vite ? »  se demandait l’Empereur.  Il est vrai qu’il n’était pas du tout habitué à marcher sur ses propres pieds.  Depuis que son porteur officiel avait renoncé à sa charge pour embrasser une carrière de dessinateur de mangas, l’empereur était bien obligé d’assumer seul ses propres déplacements.  Il avait bien tenté d’embaucher la première geisha pour remplacer son porteur, mais elle lui avait ri au nez.  Il s’était alors offert un kimono de compétition, très léger, confectionné en peau de poisson cru et certifié aérodynamique.  Malgré toutes ses précautions, il était parti trop loin.  Sa séance d’aïkido du matin l’avait anéanti.  Il aurait mieux fait de rester sous le cerisier à jouer au mikado avec la seconde geisha.  Il était HS, à 500 mètres du palais, sans autre moyen que ses pieds pour rentrer.  Et, quand un serpent volant fonça droit sur lui, il songea clairement à se faire hara-kiri.  Mais l’idée du tsunami que créerait le vide laissé sur le trône lui donna un sursaut de dignité et il trancha la tête du poisson volant.  « Voilà une belle idée d’histoire pour ce traitre de porteur devenu mangaka » pensa l’empereur en se trainant sur le chemin.

     Françoise

Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient.  « Pourquoi marcher si vite ? »

L’informaticien qui était venu faire une retraire zen dans les jardins de cerisiers de Kyoto, avait un mal fou à calmer sa cadence intérieure.  Le matin même, son maître lui avait fait prendre pendant une longue heure la posture de l’empereur, celle qui consiste à admirer une geisha danser sans sommeiller, sans activer sa respiration, tel un rat pris au piège et qui feint d’être mort.  Dans son kimono doré étincelant, le maître arriva vers lui sans faire crisser une seule feuille morte, il lui apportait une soupe aux nouilles de riz gluant et, avec des baguettes de mikado, il devait les attraper et les porter à sa bouche sans en faire tomber une seule.  Un supplice !  L’informaticien stressé aurait, à ce stade de l’initiation, préféré se faire hara-kiri.  Il ne parvenait pas à calmer ses doigts, chacune de ses pensées avaient besoin d’un clavier pour se fixer.  Son mental subissait un véritable tsunami, il n’avait jamais perçu à quel point il était atteint par les impacts de l’informatique.

     Odile

Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient.  « Pourquoi marcher si vite ? » 
Attendons le cortège de l’empereur et prenons son allure.  Il va à Hiroshima lentement, à la vitesse des nuages et au rythme du musicien du cortège et de la geisha portée par des sumos en kimono.  Ne pensons pas aux sushis maintenant.  Écoute le silence et le crissement des feuilles, aux couleurs d’une carpe arc-en-ciel ou d’un jeu de mikado.  Les cerisiers sont en fleurs pendant que l’hiver commet un hara-kiri.  Pourquoi marcher si vite ?  Prenons le temps et prions pour les victimes du tsunami et pour la danseuse d’Izu

     Paul



Pour ce 3ème jeu, un texte, extrait de Madame Chrysanthème de Pierre LOTTI, est lu avec 5 interruptions (à voir en toute fin de page).  Après chacune d’elle, nous écrivons la suite imaginée du texte qui est lu.  Après, nous prenons 5 minutes pour écrire des transitions entre chaque partie, avec l’obligation d’insérer une phrase issue du texte précédent, tirée au sort.

Que me veulent-elles ces étranges créatures, aux corps chétifs, aux yeux bridés.  Ils sont plus petits que moi et torses-nus, l’air combatif.  Je m’avance prudemment, tout étriqué dans ma veste et mon pantalon moulant.  Un d’entre eux s’approche de moi et tire sur ma perruque qui tombe dans une flaque d’eau.  Ils se mettent tous à rire de bon cœur.  L’atmosphère se détend et l’air renfrogné qui se lisait sur leur figure disparait.  Un des leurs s’avance avec une espèce de pousse-pousse et me propose de me conduire au Jardin des Fleurs, sans me dire de quoi il s’agit.  Je monte dans sa carriole et nous voilà partis dans la foule grouillante de Tokyo.  Il se moque bien des flaques d’eau, ce djin, tout enthousiaste de me mener au Jardin des Fleurs.  Je suis tout courbaturé lorsque je descends devant l’entrée du parc.  Et le djin repart tout sourire, content du billet que j’ai sorti de mon portefeuille.  Il vaudrait mieux que la pluie cesse !  Le jardin serait splendide sous un rayon de soleil. Mais je me retourne et le Jardin des Fleurs s’avère être une maison de thé.  Pourquoi pas ?  Ce serait épatant de rencontrer une belle geisha.  Je décide de me bichonner.  Il faut que je trouve un barbier pour une coiffure impeccable et une moustache bien taillée.  Je passerai aussi par le tailleur pour une veste et un pantalon ajustés.  Le marchand de chaussures pour des escarpins dernier cri.  Le parfumeur pour une senteur enivrante.  Déjà, dans ma tête, défilent les idées galantes.
La pluie reprend de plus belle quand je me rends à la maison de rendez-vous.  Oh zut alors, j’aurais mieux fait de m’acheter de bonnes chaussures de marche, au lieu de ces souliers vernis !  De quoi vais-je avoir l’ait devant ces geishas raffinées qui m’attendent.  Mais la maison de thé n’est rien d’autres qu’une sombre maison.  Nous voilà devant la porte de cette sombre tanière.  Je franchis le seuil et là je me rends compte que personne ne vient m’accueillir.  Il pèse un lourd silence et, dans la pénombre, j’entrevois un filet de lumière sous une porte au bout de la pièce.  Que vais-je trouver derrière ?  J’avais un mal fou à calmer ma cadence intérieure.
     Anne

Je réalise à quel point je serais perdu sans posséder cette langue gutturale, très étrange.  Leurs visages expriment un mécontentement certain, quoi donc… je sens le poisson pourri ?
Mes quelques mots de japonais glissés dans l’oreille de mon homme-taxi ont dû être mal interprétés car la destination que je souhaitais, le Cercle de Geisha Fugi, s’est avéré être le bain-douche d’Osaka.  Confirmant quelque part que je devais puer terriblement.
Ces bain-douche seront finalement ma planche de salut pour honorer la soirée raffinée auprès de sublimes geishas que j’avais envisagée.  Du moins je l’espère !  Quel endroit surprenant !  Son accès par un chemin raide, glissant de glaise rouge, était tellement inattendu.  Dans quel état arriverais-je dans le salon de ces belles dames ?
Une vieille geisha aux dents laquées de noir s’encadra dans la porte.  Non non, assurément ce n’est pas la bonne adresse.  Quand le serpent volant fonça droit sur moi, je songeai clairement à me faire hara-kiri.  Les rêves sont quelque fois étranges.  Le parfum du café matinal me réveille tout à fait.
     Annie

Des tonalités inhabituelles, des sons inattendus raisonnent à mes oreilles.  Langue inconnue dont je ne sais que quelques mots rapportés en Occident par des marins imprécis.  Ils gesticulent et piaillent à qui mieux mieux, comme une volée d’étourneaux.  Leurs robes amples en plumage sombre, un chapeau pointu protégeant leurs visages de la pluie battante, je ne distingue rien d’eux .  Seulement un groupe étourdissant de voix stridentes.  Avec de difficiles balbutiements, je me laisse emporter par l’un de ces oiseaux vers une maison de thé, dans la petite voiture tractée par l’homme.  L’abri de toile cirée ne me permet pas d’admirer les rues à ma convenance.  La voiturette balade et bringuebale sur des pierres glissantes, les pieds de mon coursiers sautent de flaques en flaques.  La cohue du quai évolue.  Après quelques rues calmes, c’est un autre déboulement de sons et de cris, des hululements et des imprécations, à ce qu’il me semble.  Malgré la pluie, les odeurs m’assaillent.  Des poissons surtout, des épices et du thé.  Le véhicule ralentit, pas bien longtemps, puis s’engage dans une venelle boueuse, sans doute pour échapper à la foule du marché.  J’entends les clapotements dans la terre détrempée et je distingue, sous la capote, les pieds chaussés de sandales qui se recouvrent de fange pas après pas.  Malgré le poids, la vitesse ne faiblit pas.  La vaillance de cet homme à l’abord frêle mérite un pourboire.  Il s’arrête sous le porche d’une grande maison de bois qu’il m’indique en baragouinant avec enthousiasme.  Il fait glisser pour moi la grande porte.  Alors, le silence s’installe, la splendeur du lieu me submerge.  Dehors, tout était gris, sombre, trempé, indistinct, cohue et pagaille.  Dedans, tout est lumineux, chaleureux, ordonné et calme.  La grâce des mouvements esquisse un ballet chorégraphié, de la part des serveurs de thé autant que des consommateurs.  Devant un tel raffinement, je me sens tout ballot, maladroit.  Mes mains tremblent, mon coude est gauche, mes lèvres bruyantes.  Ma respiration sifflante doit me faire remarquer autant que mon teint brûlé par la traversée et ma barbe dense. 
Mon chemin dans ce pays sera glissant, ardu, je le sens.  Tout semble codifié.  Apprendrais-je un jour les salutations, les rites, les mots de courtoisie qui conviennent ?  Cette femme là-bas, qui me lance des regards curieux de derrière son éventail, ai-je le droit de l’aborder ?  Elle est si discrète dans ses œillades que je doute de ce que j’ai vu.  Peut-être que je phantasme ?  Son masque blanc doit signifier quelque chose, mais quoi ?  Elle abaisse furtivement son éventail de papier, et c’est comme si elle avait ouvert la porte sur un autre monde.  Un sourire carmin dessine des promesses de lendemain.  Un léger pli de cette bouche mutine embarque mon cœur dans un tango endiablé.  Un tsunami de sensations envahit mon corps.  Le bâtiment tremble, la terre gronde, l’orage éclate au-dehors.  Puis tout à coup, la seconde suivante, l’éventail remonte.  Et tout cesse.  Le calme revient.  Personne n’a bronché.  Les tasses de thé fument, l’encens se consume.  Je suis le seul à avoir vécu ce séisme.  Mon regard ne peut s’empêcher de revenir vers elle.  Un éclat, dans ces yeux noirs, témoigne de la tempête qui vient d’exploser.  Entre nous deux, rien que pour nous deux.
     Camille

Tels des personnages de mangas, ils s’attaquent à moi.  La pluie, mélangée aux déchets de la rue et de la cave restée ouverte, coule en une eau grise et nauséabonde.  Un véritable dégout me prend et je n’ai plus envie d’avancer dans ce pays.  Ces êtres noirs et grimaçants me font peur.  En fait, ce sont des djin qui veulent m’emporter de force.  Je ne leur ai commandé aucune course.  Leur vulgarité, leur empressement m’ont fait perdre toute notion de la beauté de ce pays que j’admire tant.  Je ne sais plus où sont les jardins aux cerisiers en fleurs.  Je ne sais plus où rencontrer de sublimes geishas tant espérées.  Je me serre dans le kimono que j’avais enfilé avant tous ces événements malheureux.  Moi qui rêvais de Lumi dans la lumière, vêtue de son somptueux kimono, elle avait l’allure d’une geisha d’un autre temps.  Aussi, il me fallait bien me remettre de cette aventure désagréable et reprendre mes esprits.  Alors, je me souvenais que j’étais attendu pour une soirée beaucoup plus douce.  Je me rappelais les adresses laissées par ces amis du Pays du Soleil Levant et toute la douceur que je pouvais y rencontrer.  La pluie avait cessé, les quelques gouttes qui coulaient me permirent un peu de toilette.  Avec mon djin, sur le sol mouillé, nous oublions la boue.  Le thé, servi chaud par de sublimes geishas qui nous attendent, nous fait rêver et nous avançons d’un bon pas.  Mon kimono est un peu fripé mais je le défroisse rapidement.  Nous avançons vers le Jardin des Fleurs.  Ce Jardin des Fleurs qui apparait pourrait être merveilleux mais je sens une onde indicible de mauvais sort me gagner.  Ils m’entourent, les hommes noirs de mon arrivée sont là.  Je suis prise au piège.  Mon djin est l’un des leurs et m’a conduit dans leur véritable tanière.  Je suis perdu !
     Cécile

Interloqué, je stoppe un instant, puis j’essaye de me frayer un passage à travers cette horde humaine.  Impossible, ils font bloc.  Mais enfin, que me veulent-ils ?  Je sens alors monter en moi une colère qui décuple mes forces et me mets à faire voler mes bras en tous sens.  Mais seul contre tous, il faut être kamikaze.  Tout à coup, ils me présentent leurs voitures et me proposent le transport.  Je m’installe dans l’étroit habitacle du véhicule.  Je me sens soulevé de terre et, cahin-caha, je me laisse volontiers emmener vers ma destinée.  C’est assez inconfortable mais c’est moins fatigant.  Ainsi, en hauteur, je laisse défiler les petites maisons du bord de la route.  Je me suis arrêté, dans mon kimono bien ajusté, manger du poisson au bord du ruisseau sur le pont de bois.  Rassasié, je repars.  Bercé par le balancement de l’engin, je m’endors, je rêve de cet instant où je la verrai.  Elle m’attend, paisiblement assise sur le tapis, ses joues sont fardées, ses lèvres subtilement colorées et ses cheveux retenus par une longue baguette.  En me voyant arriver, elle se prosterne davantage.  Comme une invitation. 
Arrivé à l’entrée, je descends.  Je patine et bascule.  Je m’agrippe juste à temps à mon porteur pour ne pas tomber.  C’est que je ne voudrais finir salit de boue pour aller retrouver la belle geisha de mes rêves qui m’attend.  Et là, stupeur, le Jardin des Fleurs ne ressemble en rien à ce que je m’étais imaginé : un endroit charmant, raffiné, sentant bon le parfum des lotus avec des créatures douces et attrayantes m’offrant le saké en guise de bienvenue.  Non, je découvre là un taudis éclairé d’une lumière blafarde avec des hommes accrochés au comptoir pour na pas tituber.
     Evelyne

Je ne comprends rien à leurs langages, leurs signes, leurs cris.  J’ai laissé mon sabre à bord, je me sens tout nu.  On dirait que la pluie du Japon mouille bien plus que partout ailleurs.  Ces chaires qui m’entourent, ruisselantes d’eau et de graisses, me déroutent.  Pourtant, quand j’ose lever un regard vers ces corps qui m’assaillent,  je ne découvre que des sourires et des regards amusés.  Je retrouve mon courage. J’ai une bonne raison d’être là.  Au Jardin des Fleurs, c’est là que je me rends.  La consonance de ces deux mots, assemblés comme une évidence, me ravit.  J’en ai vu et respirer des fleurs lors de mes incessants voyages.  Mais je sens que les fleurs japonaises m’offrent bien plus de possibilité que toutes les autres fleurs cueillies à travers le monde.  Dans ce pays, les fleurs semblent être en harmonie avec les butineurs de toutes espèces.  Oui, je me rends au Jardin des Fleurs, et si ça doit être en compagnie de cet homme gras si violemment rencontré sur le port, cela ne me fait pas peur.  J’ai pour moi la puissance de l’exotisme.  Ma fleur encore inconnue, j’arrive !  J’aimerais être un mystère pour elle.  Certainement n’a-t-elle jamais vu un homme blanc avec autant de prestance que moi.  Mon œil bleu, ma calvitie naissante et ma moustache si soigneusement peignée ne pourront que la charmer.  Tout en passant dans l’allée de graviers blancs qui mène à la maison, je me fais la réflexion que c’est l’année du tigre.  Je mets un tigre dans mon moteur.  Le gros Japonais m’a suivi.  Avec toute la pluie tombée, le sentier glisse.  Un pas en avant pour lui mais un pas en arrière pour moi.  C’est rageant, il a beau être gras et balourd, il se meut avec énormément d’agilité.  Ferait-il la course pour arriver avant moi au Jardin des Fleurs ?  Et si ma promise était sa promise à lui ?  Ce que j’avais pris pour un sourire bienveillant n’était peut-être qu’un rictus hypocrite destiné à taire ma méfiance.  Nous arrivons.  Apparait le Jardin des Fleurs… des fleurs fatiguées, flétries, franchement fanées, très loin de mes phantasmes.  Et au fonds du jardin, une très vieille femme termine de ranger ses outils de jardinage.  Elle me sourit, sans dents.  « La saison est passée » me dit-elle, « vous arrivez trop tard.  Elles ne vous ont pas attendu ».
     Françoise

Je glisse sur le quai trempé.  Un de ces êtres étranges me relève, le contact de sa main froide sur mon bras me glace.  La panique s’empare de moi, les autres personnes qui accompagnent l’homme qui me relève, rient.  Je n’ai jamais entendu de tels rires, ça siffle, ça grince, ça explose, rien ne m’est familier.  Et cette pluie qui continue à s’abattre sur nous, qui, je le crains, va me transformer en être gluant, semblable à ces gueux.  Et en voilà un qui hurle « Attendons le cortège de l’empereur et prenons son allure ».  Un homme s’empare d’un pousse-pousse doré et me soulève pour m’y placer.  Est-ce moi l’empereur ?
Le djin s’empare alors des poignées du pousse-pousse et, malgré le pavé mouillé et glissant, s’élança dans une course d’une rapidité étonnante.  À l’abri de la capote et de la couverture qu’il m’a posée sur les genoux, me voilà balloté dans des ruelles sombres où j’apercevais, derrière le rideau de pluie, des drôles de maisons aux frontons végétalisés.  Suis-je dans une ville ou en pleine forêt ?  Une jungle peut-être ?  Les personnes que nous croisons, abritées sous des sortes de capes noires, ne seraient-elles pas d’énormes scarabées ou des sangliers mutants ?  J’ai hâte d’arriver à ce fameux Jardin des Fleurs.  Mais l’homme continue sa course qui me semble sans fin.  Secoué, à la limite de mes capacités, moi l’homme, je m’en réfère à des dieux ou autres croyances.  Je pensais, dans ce voyage, avoir été gâté par le sort, mais là, vraiment, ferais-je la rencontre espérée ?  Un sort mystérieux, ais-je besoin de cela pour faire une rencontre ?  Sorti de mon paquebot, après une longue traversée, mes appétits d’homme ne sont guère mystérieux.  La jeune geisha le sait et elle sait aussi qu’elle aura vite fait avec ce bourgeois européen.  Peu de préliminaires, une goutte de saké, et moi, l’homme, je m’endormirai comme une souche.  Ce soir, c’est sûr, je ne glisserai pas sur le chemin raide de la montagne.  La jeune geisha m’assiste dans mon sommeil.  Elle sait qu’elle doit me préparer pour l’épreuve qui m’attend demain et elle espère que la pluie aura cessé.  De ses mains délicates, elle me déshabille, me couvre d’un édredon de plumes, me masse les pieds et va me préparer un repas qui devrait me mettre sur pied dès mon réveil.  Elle met mes effets à sécher au-dessus du petit brasero.
Dans la maison de thé, l’ambiance est humide et chaude. L’odeur affolante des geishas se mêle à celle lourde et malodorante des hôtes, tous arrivés trempés.  Ils sentent la tourbe et la mousse, mais aussi la crasse et l’alcool.  La jeune geisha sait que le sommeil de l’homme sera lourd et habité de songes étranges.  Elle veille.  C’est son sort à elle.  Elle le veille jusqu’à son réveil.
     Odile

« Que voulez-vous ? » demandais-je.  Je n’ai pas d’argent, pas d’or, pas de diamants.  Laissez-moi et aidez-moi.  Vous vous trompez ;  Vous me prenez pour quelqu’un d’autre.  Allons au Jardin des Fleurs.  C’est là que j’ai rendez-vous avec une geisha.  C’est là, dans ce jardin des fleurs, près des roses blanches que je vais lui dire mon amour pour elle, dans un poème court et frais comme le parfum des roses.  Je ne connais pas son nom, je n’ai jamais vu sa photo.  Mais je suis sûr qu’elle va me plaire.  Elle sera jeune, petite, mince, les yeux foncés mais très honnêtes.  Les cheveux noirs, carré, un petit nez et les lèvres distinguées mais prêtes à m’aimer.  La route est longue et le sentier pour y arriver de plus en plus raide.  J’essaie de ne penser à rien.  Je dois me concentrer sur ce sentier difficile qui nous mène je ne sais où.  Mais j’espère et je suppose que ça vaudra la peine.  Comme disait mon ami pèlerin, « l’important ce n’est pas le chemin mais c’est la destination, le résultat qui compte. »  Et en effet, quand j’arrive la porte s’ouvre.  La voilà devant moi, comme je l’avais espérée.  Ma geisha, mon amour, ma nouvelle vie, ma bombe atomique, mon début et ma fin, mon sushi extraordinaire, mon manga en toutes couleurs…  Et à ce moment, je réalise que tout est à recommencer
     Paul


« Par ma trappe, que je viens d’ouvrir en grand, je vois les dalles grises du quai, là tout près.  Alors j’émerge de mon sarcophage, me disposant à mettre le pied, pour la première fois de ma vie, sur le sol japonais.
Tout ruisselle de plus en plus et la pluie fouette dans les yeux, irritante, insupportable.
A peine suis-je à terre, qu’une dizaine d’êtres étranges, difficiles à définir, dès l’abord, à travers l’ondée aveuglante, bondissent sur moi, crient, m’entourent, me barrent le passage. 1
On m’avait prévenus : ce sont simplement des djins qui se disputent l’honneur de ma préférence (des djin ou des djin richisans, cela veut dire des hommes-coureurs trainant de petits chars et voiturant des particuliers pour de l’argent, se louant à l’heure ou à la course comme chez nous les fiacres)
N’ayant l’honneur d’en connaitre aucun, j’opte à la légère pour le djin au parapluie et je monte dans sa petite voiture, dont il rabat sur moi la capote, bien bas.  Sur mes jambes, il étend un tablier ciré, me le remonte jusqu’aux yeux, puis s’avance et me dit en japonais quelque chose qui doit signifier ceci : « où faut-il vous conduire mon bourgeois » à quoi je réponds dans la même langue « au Jardin des Fleurs, mon ami ». 2
« Au Jardin des Fleurs » ai-je dis comme un habitué, surpris moi-même de m’entendre.  C’est que je suis moins naïf en japonerie qu’on ne pourrait le croire.  Des amis qui reviennent de cet empire m’ont fait la leçon et je sais beaucoup de choses : ce jardin des fleurs est une maison de thé, un lieu de rendez-vous élégant.  Et ce soir peut-être, si mes affaires marchent à souhait, je serai présenté à la jeune-fille que le sort mystérieux me destine. 3
Enfin mon équipage s’arrête, et mon djin, souriant, avec des précautions pour ne pas me faire couler de nouvelles rivières dans le cou, abaisse la capote de ma voiture ; il y a une accalmie dans le déluge, il ne pleut plus.  C’est à la base même d’une montagne surplombante ; nous avons dû dépasser la ville probablement, et nous sommes dans la banlieue, à la campagne.  Il faut mettre pied à terre, parait-il, et grimper à présent par un sentier étroit, à pic.  Autour de nous, il y a des maisonnettes de faubourg, des clôtures de jardin, des palissades en bambou très élevées masquant la vue.  La verte montagne nous écrase de toute sa hauteur.  Mon djin a remisé sous un arbre sa petite voiture, et nous montons ensemble dans ce chemin raide, sur ce sol rouge où nos pieds glissent.  4
Nous allons bien au Jardin des Fleurs ? dis-je inquiet de savoir si j’ai été bien compris.
Oui, oui fait le djin, c’est là-haut et c’est tout près.  Le chemin tourne, devient encaissé et sombre.  D’un côté la paroi de la montagne, toute tapissée de fougères mouillées ; de l’autre, une grande maison de bois, presque sans ouvertures et d’un mauvais aspect : c’est là que mon djin s’arrête. 
Comment, cette maison sinistre, le Jardin des Fleurs ? –il prétend que oui, l’air très sûr de son fait.  Nous frappons à une grosse porte qui aussitôt glisse dans ses rainures et s’ouvre… »

Pierre LOTTI  Madame Chrysanthème   1888  (qui a inspiré Madame Butterfly en 1904, Puccini)

 

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