un 1er
jeu pour deviner des mots d’origine japonaise passés dans la langue française,
suivi d’un 2ème jeu pour se donner 6 mots chacun, issus de nos stéréotypes
sur le Japon
Pour le 1er
texte, nous disposons d’un incipit (tiré de La danseuse d'Izu de Kawabata)
de 6 mots issus du 2ème jeu et,
en cours d’écriture, des mots sont tirés du chapeau (ceux du 1er jeu) et doivent être placés au
plus vite dans le texte.
Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du
banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser
les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient. « Pourquoi marcher si
vite ? »
A cette réflexion, je ralentis ma marche. Les oiseaux se tenaient immobiles, nobles sur
leurs longues échasses, ils déambulaient tels les dignitaires de
l’empereur. Les feuilles mortes
formaient un tapis colorés sous mes pieds et sous les pattes d’oiseaux. J’admirais ce parc de Tokyo qui, à l’automne,
resplendissait de lumière. Le jardinier
réalisait des merveilles tout au long des allées. Soudain, une geisha apparu au détour d’un
sentier. Elle s’était arrêtée pour
lisser son kimono. Quel
tableau ! On aurait dit une des
nombreuses estampes qui ornaient mon séjour.
Soudain, je réalisais que je n’avais encore rien mangé. Une crêpe mikado ferait bien l’affaire
(banane enrobée de chocolat), miam !
Je quittai le parc féérique et je me rendis à la crêperie du coin. Là, triste nouvelle, la serveuse m’appris que
son oncle venait de se faire hara-kiri.
Elle en était toute bouleversée.
Son visage était ravagé de tristesse et dans ses yeux on aurait dit
qu’un tsunami était passé. Je n’avais
plus envie de manger de crêpe. Je
balbutiai une excuse et un mot de consolation et je sortis. Je rentrerai chez moi et mangerai les
boulettes de riz qui me restent dans le frigo.
Tout en passant l’allée de graviers blancs qui menait à ma maison, je me
fis la réflexion que c’était l’année du tigre : il ne fallait donc pas se
laisser décourager par de mauvaises nouvelles et aller de l’avant.
Anne
Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du
banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser
les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient. « Pourquoi marcher si
vite ? »
Lumi attendait Vincent patiemment, l’ombre
d’Hiroshima planait dans sa mémoire.
Celle du pêcheur près de sa barque sur le lac rappelait ces estampes
anciennes. Lumi, dans la lumière, vêtue
de son somptueux kimono, avait l’allure d’une geisha, d’un autre temps
aussi. Les sushis qu’ils avaient
apportés pour un pique-nique au bord de l’eau dans ce cirque fabuleux de
montagnes où les sapins emmêlés n’étaient sans rappeler un jeu de mikado. On aurait dit que la forêt s’était fait un hara-kiri
titanesque. Le renard à neuf queues,
hiératique sur son rocher, était là pour témoigner de ce tsunami d’arbres
bouleversés par les geysers du lac
Annie
Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du
banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser
les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient. « Pourquoi marcher si
vite ? »
Une longue enjambée dépliée après l’autre, les
grues ont elles seules appris à maitriser l’art de la marche. Les ridules du bord de l’eau, l’élégance des
mouvements, le gracieux port de tête, n’ont rien de comparable aux foules pressées
sous des parapluies d’Osaka. De tous les
êtres humains, seuls les geishas et les samouraïs peuvent se targuer d’une
danse de couple, de leurs jambes entrelacées et déliées tour à tour. Les pans de tissus adroitement ajustés du
kimono s’ouvrent, se plient, s’étirent, respectant l’amplitude et la précision
de la démarche. La patience, le calme,
le souffle, le regard aiguisé et une certaine intuition acquise au cours
d’heures à jouer au mikado nourrissent la gestuelle de tous les corps. Un pas de travers, hors de la ligne, un
trébuché, une buttée, et tout s’écroule, sabre en travers du cœur, hara-kiri de
la perfection. Et tout est à
recommencer. Patiemment, observer les
félins et les oiseaux, les mouvements des branches et des feuillages, la
stabilité de la montagne enracinée.
Autant de valeurs que le pêcheur attrape au bout de sa ligne et
incorpore à son ballet. Avec
délicatesse, comme il déguste ses tempuras ou esquisse un personnage de bande
dessinée, tendu vers la perfection de l'œuvre, du geste, de la saveur. Le maitre accueille chaque signe, chaque
chant, chaque courant d’air et sent venir, depuis le sommet de cette montagne,
le tsunami qui nait au fond de l’océan.
Camille
Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du
banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser
les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient. « Pourquoi marcher si
vite ? »
Le Mont Fuji était au loin, tout restait
calme, alors je ralentissais. Ma
démarche se faisant plus calme me permis de penser au calligraphe que j’étais
et à ma geisha préférée avec qui je buvais le saké. Je m’étais arrêté, dans mon kimono bien
ajusté, manger du poisson aux bords du ruisseau sur le pont de bois, qui
n’était pas fait de mikado même si ses branches serrées et fines pouvaient y
faire penser. Miyasaki ne s’était pas
fait hara-kiri, nous l’aurions su par les ondes de tout le pays et le peuple se
serait réuni en un grand rassemblement, une onde tel un tsunami géant emportant
tout sur son passage. Mais non, rien de
tel, tout était et restait calme. Mes
pas me rapprochaient doucement du Mont Fuji dont les contours se dessinaient
bien mieux que ce matin, à mon départ, les feuilles mortes crissaient moins car
l’humidité avait envahi les lieux. Que
c’était beau !
Cécile
Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du
banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser
les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient. « Pourquoi marcher si
vite ? »
Le Sumo ralentit le pas, essoufflé et s’assied
face au Mont Fuji. Le silence
s’installa, la splendeur du paysage le submergea. Bientôt ses pensées l’emmenèrent loin, vers
sa dernière nuit avec sa geisha. Elle
avait défait son kimono et s’était offerte.
Non, ils n’avaient pas joué aux mikados mais aux jeux de l’amour. Au petit matin, avant de se quitter, ils
avaient mangé des tempuras. Ces instants
de bonheur valaient mieux que de se faire hara-kiri. Tiré de ses rêveries par les aboiements d’un
chien, il se leva et se dirigea dans l’allée des cerisiers en fleurs, ému comme
il pouvait l’être à chaque fois qu’il passait là. Il espérait que jamais ne se produise un
tsunami qui viendrait effacer toutes ces beautés naturelles.
Évelyne
Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du
banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser
les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient. « Pourquoi marcher si
vite ? » se demandait
l’Empereur. Il est vrai qu’il n’était
pas du tout habitué à marcher sur ses propres pieds. Depuis que son porteur officiel avait renoncé
à sa charge pour embrasser une carrière de dessinateur de mangas, l’empereur
était bien obligé d’assumer seul ses propres déplacements. Il avait bien tenté d’embaucher la première
geisha pour remplacer son porteur, mais elle lui avait ri au nez. Il s’était alors offert un kimono de
compétition, très léger, confectionné en peau de poisson cru et certifié
aérodynamique. Malgré toutes ses
précautions, il était parti trop loin.
Sa séance d’aïkido du matin l’avait anéanti. Il aurait mieux fait de rester sous le
cerisier à jouer au mikado avec la seconde geisha. Il était HS, à 500 mètres du palais, sans
autre moyen que ses pieds pour rentrer.
Et, quand un serpent volant fonça droit sur lui, il songea clairement à
se faire hara-kiri. Mais l’idée du
tsunami que créerait le vide laissé sur le trône lui donna un sursaut de
dignité et il trancha la tête du poisson volant. « Voilà une belle idée d’histoire pour
ce traitre de porteur devenu mangaka » pensa l’empereur en se
trainant sur le chemin.
Françoise
Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du
banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser
les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient. « Pourquoi marcher si vite ? »
L’informaticien qui était venu faire une
retraire zen dans les jardins de cerisiers de Kyoto, avait un mal fou à calmer
sa cadence intérieure. Le matin même,
son maître lui avait fait prendre pendant une longue heure la posture de l’empereur,
celle qui consiste à admirer une geisha danser sans sommeiller, sans activer sa
respiration, tel un rat pris au piège et qui feint d’être mort. Dans son kimono doré étincelant, le maître
arriva vers lui sans faire crisser une seule feuille morte, il lui apportait
une soupe aux nouilles de riz gluant et, avec des baguettes de mikado, il
devait les attraper et les porter à sa bouche sans en faire tomber une
seule. Un supplice ! L’informaticien stressé aurait, à ce stade de
l’initiation, préféré se faire hara-kiri.
Il ne parvenait pas à calmer ses doigts, chacune de ses pensées avaient
besoin d’un clavier pour se fixer. Son
mental subissait un véritable tsunami, il n’avait jamais perçu à quel point il
était atteint par les impacts de l’informatique.
Odile
Une volée d’oiseaux vint s’abattre près du
banc, et telle était la quiétude, sur cette montagne, qu’on entendait crisser
les feuilles mortes sur lesquelles ils se posaient. « Pourquoi marcher si
vite ? »
Attendons le cortège de l’empereur et prenons
son allure. Il va à Hiroshima lentement,
à la vitesse des nuages et au rythme du musicien du cortège et de la geisha
portée par des sumos en kimono. Ne
pensons pas aux sushis maintenant.
Écoute le silence et le crissement des feuilles, aux couleurs d’une
carpe arc-en-ciel ou d’un jeu de mikado.
Les cerisiers sont en fleurs pendant que l’hiver commet un hara-kiri. Pourquoi marcher si vite ? Prenons le temps et prions pour les victimes
du tsunami et pour la danseuse d’Izu
Paul
Pour ce 3ème jeu, un texte, extrait
de Madame Chrysanthème de
Pierre LOTTI, est lu avec 5
interruptions (à voir en toute fin de page).
Après chacune d’elle, nous écrivons la suite imaginée du texte qui est
lu. Après, nous prenons 5 minutes pour
écrire des transitions entre chaque partie, avec l’obligation d’insérer une
phrase issue du texte précédent, tirée au sort.
Que me veulent-elles ces étranges créatures,
aux corps chétifs, aux yeux bridés. Ils
sont plus petits que moi et torses-nus, l’air combatif. Je m’avance prudemment, tout étriqué dans ma
veste et mon pantalon moulant. Un
d’entre eux s’approche de moi et tire sur ma perruque qui tombe dans une flaque
d’eau. Ils se mettent tous à rire de bon
cœur. L’atmosphère se détend et l’air
renfrogné qui se lisait sur leur figure disparait. Un des leurs s’avance avec une espèce de
pousse-pousse et me propose de me conduire au Jardin des Fleurs, sans me dire
de quoi il s’agit. Je monte dans sa
carriole et nous voilà partis dans la foule grouillante de Tokyo. Il se moque bien des flaques d’eau, ce djin,
tout enthousiaste de me mener au Jardin des Fleurs. Je suis tout courbaturé lorsque je descends
devant l’entrée du parc. Et le djin
repart tout sourire, content du billet que j’ai sorti de mon portefeuille. Il vaudrait mieux que la pluie cesse ! Le jardin serait splendide sous un rayon de
soleil. Mais je me retourne et le Jardin des Fleurs s’avère être une maison de
thé. Pourquoi pas ? Ce serait épatant de rencontrer une belle
geisha. Je décide de me bichonner. Il faut que je trouve un barbier pour une
coiffure impeccable et une moustache bien taillée. Je passerai aussi par le tailleur pour une
veste et un pantalon ajustés. Le
marchand de chaussures pour des escarpins dernier cri. Le parfumeur pour une senteur enivrante. Déjà, dans ma tête, défilent les idées
galantes.
La pluie reprend de plus belle quand je me
rends à la maison de rendez-vous. Oh zut
alors, j’aurais mieux fait de m’acheter de bonnes chaussures de marche, au lieu
de ces souliers vernis ! De quoi
vais-je avoir l’ait devant ces geishas raffinées qui m’attendent. Mais la maison de thé n’est rien d’autres
qu’une sombre maison. Nous voilà devant
la porte de cette sombre tanière. Je
franchis le seuil et là je me rends compte que personne ne vient
m’accueillir. Il pèse un lourd silence
et, dans la pénombre, j’entrevois un filet de lumière sous une porte au bout de
la pièce. Que vais-je trouver
derrière ? J’avais un mal fou à
calmer ma cadence intérieure.
Anne
Je réalise à quel point je serais perdu sans
posséder cette langue gutturale, très étrange.
Leurs visages expriment un mécontentement certain, quoi donc… je sens le
poisson pourri ?
Mes quelques mots de japonais glissés dans
l’oreille de mon homme-taxi ont dû être mal interprétés car la destination que
je souhaitais, le Cercle de Geisha Fugi, s’est avéré être le bain-douche
d’Osaka. Confirmant quelque part que je
devais puer terriblement.
Ces bain-douche seront finalement ma planche
de salut pour honorer la soirée raffinée auprès de sublimes geishas que j’avais
envisagée. Du moins je
l’espère ! Quel endroit
surprenant ! Son accès par un
chemin raide, glissant de glaise rouge, était tellement inattendu. Dans quel état arriverais-je dans le salon de
ces belles dames ?
Une vieille geisha aux dents laquées de noir
s’encadra dans la porte. Non non,
assurément ce n’est pas la bonne adresse.
Quand le serpent volant fonça droit sur moi, je songeai clairement à me
faire hara-kiri. Les rêves sont quelque
fois étranges. Le parfum du café matinal
me réveille tout à fait.
Annie
Des tonalités inhabituelles, des sons
inattendus raisonnent à mes oreilles.
Langue inconnue dont je ne sais que quelques mots rapportés en Occident
par des marins imprécis. Ils gesticulent
et piaillent à qui mieux mieux, comme une volée d’étourneaux. Leurs robes amples en plumage sombre, un
chapeau pointu protégeant leurs visages de la pluie battante, je ne distingue
rien d’eux . Seulement un groupe
étourdissant de voix stridentes. Avec de
difficiles balbutiements, je me laisse emporter par l’un de ces oiseaux vers
une maison de thé, dans la petite voiture tractée par l’homme. L’abri de toile cirée ne me permet pas
d’admirer les rues à ma convenance. La
voiturette balade et bringuebale sur des pierres glissantes, les pieds de mon
coursiers sautent de flaques en flaques.
La cohue du quai évolue. Après
quelques rues calmes, c’est un autre déboulement de sons et de cris, des
hululements et des imprécations, à ce qu’il me semble. Malgré la pluie, les odeurs
m’assaillent. Des poissons surtout, des
épices et du thé. Le véhicule ralentit,
pas bien longtemps, puis s’engage dans une venelle boueuse, sans doute pour
échapper à la foule du marché. J’entends
les clapotements dans la terre détrempée et je distingue, sous la capote, les
pieds chaussés de sandales qui se recouvrent de fange pas après pas. Malgré le poids, la vitesse ne faiblit
pas. La vaillance de cet homme à l’abord
frêle mérite un pourboire. Il s’arrête
sous le porche d’une grande maison de bois qu’il m’indique en baragouinant avec
enthousiasme. Il fait glisser pour moi
la grande porte. Alors, le silence
s’installe, la splendeur du lieu me submerge.
Dehors, tout était gris, sombre, trempé, indistinct, cohue et pagaille. Dedans, tout est lumineux, chaleureux,
ordonné et calme. La grâce des
mouvements esquisse un ballet chorégraphié, de la part des serveurs de thé
autant que des consommateurs. Devant un
tel raffinement, je me sens tout ballot, maladroit. Mes mains tremblent, mon coude est gauche,
mes lèvres bruyantes. Ma respiration
sifflante doit me faire remarquer autant que mon teint brûlé par la traversée
et ma barbe dense.
Mon chemin dans ce pays sera glissant, ardu,
je le sens. Tout semble codifié. Apprendrais-je un jour les salutations, les
rites, les mots de courtoisie qui conviennent ? Cette femme là-bas, qui me lance des regards
curieux de derrière son éventail, ai-je le droit de l’aborder ? Elle est si discrète dans ses œillades que je
doute de ce que j’ai vu. Peut-être que
je phantasme ? Son masque blanc
doit signifier quelque chose, mais quoi ?
Elle abaisse furtivement son éventail de papier, et c’est comme si elle
avait ouvert la porte sur un autre monde.
Un sourire carmin dessine des promesses de lendemain. Un léger pli de cette bouche mutine embarque
mon cœur dans un tango endiablé. Un
tsunami de sensations envahit mon corps.
Le bâtiment tremble, la terre gronde, l’orage éclate au-dehors. Puis tout à coup, la seconde suivante,
l’éventail remonte. Et tout cesse. Le calme revient. Personne n’a bronché. Les tasses de thé fument, l’encens se
consume. Je suis le seul à avoir vécu ce
séisme. Mon regard ne peut s’empêcher de
revenir vers elle. Un éclat, dans ces
yeux noirs, témoigne de la tempête qui vient d’exploser. Entre nous deux, rien que pour nous deux.
Camille
Tels des personnages de mangas, ils s’attaquent
à moi. La pluie, mélangée aux déchets de
la rue et de la cave restée ouverte, coule en une eau grise et
nauséabonde. Un véritable dégout me
prend et je n’ai plus envie d’avancer dans ce pays. Ces êtres noirs et grimaçants me font
peur. En fait, ce sont des djin qui
veulent m’emporter de force. Je ne leur
ai commandé aucune course. Leur
vulgarité, leur empressement m’ont fait perdre toute notion de la beauté de ce
pays que j’admire tant. Je ne sais plus
où sont les jardins aux cerisiers en fleurs.
Je ne sais plus où rencontrer de sublimes geishas tant espérées. Je me serre dans le kimono que j’avais enfilé
avant tous ces événements malheureux.
Moi qui rêvais de Lumi dans la lumière, vêtue de son somptueux kimono,
elle avait l’allure d’une geisha d’un autre temps. Aussi, il me fallait bien me remettre de
cette aventure désagréable et reprendre mes esprits. Alors, je me souvenais que j’étais attendu
pour une soirée beaucoup plus douce. Je
me rappelais les adresses laissées par ces amis du Pays du Soleil Levant et
toute la douceur que je pouvais y rencontrer.
La pluie avait cessé, les quelques gouttes qui coulaient me permirent un
peu de toilette. Avec mon djin, sur le
sol mouillé, nous oublions la boue. Le
thé, servi chaud par de sublimes geishas qui nous attendent, nous fait rêver et
nous avançons d’un bon pas. Mon kimono
est un peu fripé mais je le défroisse rapidement. Nous avançons vers le Jardin des Fleurs. Ce Jardin des Fleurs qui apparait pourrait
être merveilleux mais je sens une onde indicible de mauvais sort me
gagner. Ils m’entourent, les hommes
noirs de mon arrivée sont là. Je suis
prise au piège. Mon djin est l’un des
leurs et m’a conduit dans leur véritable tanière. Je suis perdu !
Cécile
Interloqué, je stoppe un instant, puis
j’essaye de me frayer un passage à travers cette horde humaine. Impossible, ils font bloc. Mais enfin, que me veulent-ils ? Je sens alors monter en moi une colère qui
décuple mes forces et me mets à faire voler mes bras en tous sens. Mais seul contre tous, il faut être
kamikaze. Tout à coup, ils me présentent
leurs voitures et me proposent le transport.
Je m’installe dans l’étroit habitacle du véhicule. Je me sens soulevé de terre et, cahin-caha,
je me laisse volontiers emmener vers ma destinée. C’est assez inconfortable mais c’est moins
fatigant. Ainsi, en hauteur, je laisse
défiler les petites maisons du bord de la route. Je me suis arrêté, dans mon kimono bien
ajusté, manger du poisson au bord du ruisseau sur le pont de bois. Rassasié, je repars. Bercé par le balancement de l’engin, je
m’endors, je rêve de cet instant où je la verrai. Elle m’attend, paisiblement assise sur le tapis,
ses joues sont fardées, ses lèvres subtilement colorées et ses cheveux retenus
par une longue baguette. En me voyant
arriver, elle se prosterne davantage.
Comme une invitation.
Arrivé à l’entrée, je descends. Je patine et bascule. Je m’agrippe juste à temps à mon porteur pour
ne pas tomber. C’est que je ne voudrais
finir salit de boue pour aller retrouver la belle geisha de mes rêves qui
m’attend. Et là, stupeur, le Jardin des
Fleurs ne ressemble en rien à ce que je m’étais imaginé : un endroit charmant,
raffiné, sentant bon le parfum des lotus avec des créatures douces et
attrayantes m’offrant le saké en guise de bienvenue. Non, je découvre là un taudis éclairé d’une
lumière blafarde avec des hommes accrochés au comptoir pour na pas tituber.
Evelyne
Je ne comprends rien à leurs langages, leurs
signes, leurs cris. J’ai laissé mon
sabre à bord, je me sens tout nu. On
dirait que la pluie du Japon mouille bien plus que partout ailleurs. Ces chaires qui m’entourent, ruisselantes
d’eau et de graisses, me déroutent.
Pourtant, quand j’ose lever un regard vers ces corps qui m’assaillent, je ne découvre que des sourires et des
regards amusés. Je retrouve mon courage.
J’ai une bonne raison d’être là. Au
Jardin des Fleurs, c’est là que je me rends.
La consonance de ces deux mots, assemblés comme une évidence, me
ravit. J’en ai vu et respirer des fleurs
lors de mes incessants voyages. Mais je
sens que les fleurs japonaises m’offrent bien plus de possibilité que toutes
les autres fleurs cueillies à travers le monde.
Dans ce pays, les fleurs semblent être en harmonie avec les butineurs de
toutes espèces. Oui, je me rends au
Jardin des Fleurs, et si ça doit être en compagnie de cet homme gras si violemment rencontré sur le port, cela ne me fait pas peur. J’ai pour moi la puissance de
l’exotisme. Ma fleur encore inconnue,
j’arrive ! J’aimerais être un
mystère pour elle. Certainement
n’a-t-elle jamais vu un homme blanc avec autant de prestance que moi. Mon œil bleu, ma calvitie naissante et ma
moustache si soigneusement peignée ne pourront que la charmer. Tout en passant dans l’allée de graviers
blancs qui mène à la maison, je me fais la réflexion que c’est l’année du
tigre. Je mets un tigre dans mon
moteur. Le gros Japonais m’a suivi. Avec toute la pluie tombée, le sentier
glisse. Un pas en avant pour lui mais un
pas en arrière pour moi. C’est rageant,
il a beau être gras et balourd, il se meut avec énormément d’agilité. Ferait-il la course pour arriver avant moi au
Jardin des Fleurs ? Et si ma
promise était sa promise à lui ? Ce
que j’avais pris pour un sourire bienveillant n’était peut-être qu’un rictus
hypocrite destiné à taire ma méfiance.
Nous arrivons. Apparait le Jardin
des Fleurs… des fleurs fatiguées, flétries, franchement fanées, très loin de
mes phantasmes. Et au fonds du jardin,
une très vieille femme termine de ranger ses outils de jardinage. Elle me sourit, sans dents. « La saison est passée » me
dit-elle, « vous arrivez trop tard.
Elles ne vous ont pas attendu ».
Françoise
Je glisse sur le quai trempé. Un de ces êtres étranges me relève, le
contact de sa main froide sur mon bras me glace. La panique s’empare de moi, les autres
personnes qui accompagnent l’homme qui me relève, rient. Je n’ai jamais entendu de tels rires, ça
siffle, ça grince, ça explose, rien ne m’est familier. Et cette pluie qui continue à s’abattre sur
nous, qui, je le crains, va me transformer en être gluant, semblable à ces
gueux. Et en voilà un qui hurle
« Attendons le cortège de l’empereur et prenons son allure ». Un homme s’empare d’un pousse-pousse doré et
me soulève pour m’y placer. Est-ce moi
l’empereur ?
Le djin s’empare alors des poignées du
pousse-pousse et, malgré le pavé mouillé et glissant, s’élança dans une course
d’une rapidité étonnante. À l’abri de la
capote et de la couverture qu’il m’a posée sur les genoux, me voilà balloté
dans des ruelles sombres où j’apercevais, derrière le rideau de pluie, des drôles
de maisons aux frontons végétalisés.
Suis-je dans une ville ou en pleine forêt ? Une jungle peut-être ? Les personnes que nous croisons, abritées
sous des sortes de capes noires, ne seraient-elles pas d’énormes scarabées ou
des sangliers mutants ? J’ai hâte
d’arriver à ce fameux Jardin des Fleurs.
Mais l’homme continue sa course qui me semble sans fin. Secoué, à la limite de mes capacités, moi
l’homme, je m’en réfère à des dieux ou autres croyances. Je pensais, dans ce voyage, avoir été gâté
par le sort, mais là, vraiment, ferais-je la rencontre espérée ? Un sort mystérieux, ais-je besoin de cela
pour faire une rencontre ? Sorti de
mon paquebot, après une longue traversée, mes appétits d’homme ne sont guère
mystérieux. La jeune geisha le sait et
elle sait aussi qu’elle aura vite fait avec ce bourgeois européen. Peu de préliminaires, une goutte de saké, et
moi, l’homme, je m’endormirai comme une souche.
Ce soir, c’est sûr, je ne glisserai pas sur le chemin raide de la
montagne. La jeune geisha m’assiste dans
mon sommeil. Elle sait qu’elle doit me
préparer pour l’épreuve qui m’attend demain et elle espère que la pluie aura
cessé. De ses mains délicates, elle me
déshabille, me couvre d’un édredon de plumes, me masse les pieds et va me
préparer un repas qui devrait me mettre sur pied dès mon réveil. Elle met mes effets à sécher au-dessus du
petit brasero.
Dans la maison de thé, l’ambiance est humide
et chaude. L’odeur affolante des geishas se mêle à celle lourde et malodorante
des hôtes, tous arrivés trempés. Ils
sentent la tourbe et la mousse, mais aussi la crasse et l’alcool. La jeune geisha sait que le sommeil de
l’homme sera lourd et habité de songes étranges. Elle veille.
C’est son sort à elle. Elle le
veille jusqu’à son réveil.
Odile
« Que voulez-vous ? »
demandais-je. Je n’ai pas d’argent, pas
d’or, pas de diamants. Laissez-moi et
aidez-moi. Vous vous trompez ; Vous me prenez pour quelqu’un d’autre. Allons au Jardin des Fleurs. C’est là que j’ai rendez-vous avec une
geisha. C’est là, dans ce jardin des
fleurs, près des roses blanches que je vais lui dire mon amour pour elle, dans
un poème court et frais comme le parfum des roses. Je ne connais pas son nom, je n’ai jamais vu
sa photo. Mais je suis sûr qu’elle va me
plaire. Elle sera jeune, petite, mince,
les yeux foncés mais très honnêtes. Les
cheveux noirs, carré, un petit nez et les lèvres distinguées mais prêtes à
m’aimer. La route est longue et le sentier
pour y arriver de plus en plus raide.
J’essaie de ne penser à rien. Je
dois me concentrer sur ce sentier difficile qui nous mène je ne sais où. Mais j’espère et je suppose que ça vaudra la
peine. Comme disait mon ami pèlerin,
« l’important ce n’est pas le chemin mais c’est la destination, le
résultat qui compte. » Et en effet,
quand j’arrive la porte s’ouvre. La
voilà devant moi, comme je l’avais espérée.
Ma geisha, mon amour, ma nouvelle vie, ma bombe atomique, mon début et
ma fin, mon sushi extraordinaire, mon manga en toutes couleurs… Et à ce moment, je réalise que tout est à
recommencer…
Paul
« Par ma trappe, que je viens d’ouvrir en grand, je
vois les dalles grises du quai, là tout près.
Alors j’émerge de mon sarcophage, me disposant à mettre le pied, pour la
première fois de ma vie, sur le sol japonais.
Tout ruisselle de plus en plus et la pluie fouette dans les
yeux, irritante, insupportable.
A peine suis-je à terre, qu’une dizaine d’êtres étranges,
difficiles à définir, dès l’abord, à travers l’ondée aveuglante, bondissent sur
moi, crient, m’entourent, me barrent le passage. 1
On m’avait prévenus : ce sont simplement des djins qui se disputent l’honneur de ma
préférence (des djin ou des djin richisans, cela veut dire des
hommes-coureurs trainant de petits chars et voiturant des particuliers pour de
l’argent, se louant à l’heure ou à la course comme chez nous les fiacres)
N’ayant l’honneur d’en connaitre aucun, j’opte à la légère
pour le djin au parapluie et je monte dans sa petite voiture, dont il rabat sur
moi la capote, bien bas. Sur mes jambes,
il étend un tablier ciré, me le remonte jusqu’aux yeux, puis s’avance et me dit
en japonais quelque chose qui doit signifier ceci : « où faut-il vous
conduire mon bourgeois » à quoi je réponds dans la même langue « au
Jardin des Fleurs, mon ami ». 2
« Au Jardin des Fleurs » ai-je dis comme un
habitué, surpris moi-même de m’entendre.
C’est que je suis moins naïf en japonerie qu’on ne pourrait le
croire. Des amis qui reviennent de cet
empire m’ont fait la leçon et je sais beaucoup de choses : ce jardin des
fleurs est une maison de thé, un lieu de rendez-vous élégant. Et ce soir peut-être, si mes affaires
marchent à souhait, je serai présenté à la jeune-fille que le sort mystérieux
me destine. 3
Enfin mon équipage s’arrête, et mon djin, souriant, avec des
précautions pour ne pas me faire couler de nouvelles rivières dans le cou,
abaisse la capote de ma voiture ; il y a une accalmie dans le déluge, il
ne pleut plus. C’est à la base même d’une
montagne surplombante ; nous avons dû dépasser la ville probablement, et
nous sommes dans la banlieue, à la campagne.
Il faut mettre pied à terre, parait-il, et grimper à présent par un
sentier étroit, à pic. Autour de nous,
il y a des maisonnettes de faubourg, des clôtures de jardin, des palissades en
bambou très élevées masquant la vue. La
verte montagne nous écrase de toute sa hauteur.
Mon djin a remisé sous un arbre sa petite voiture, et nous montons
ensemble dans ce chemin raide, sur ce sol rouge où nos pieds glissent. 4
Nous allons bien au Jardin des Fleurs ? dis-je inquiet
de savoir si j’ai été bien compris.
Oui, oui fait le djin, c’est là-haut et c’est tout
près. Le chemin tourne, devient encaissé
et sombre. D’un côté la paroi de la
montagne, toute tapissée de fougères mouillées ; de l’autre, une grande
maison de bois, presque sans ouvertures et d’un mauvais aspect : c’est là
que mon djin s’arrête.
Comment, cette maison sinistre, le Jardin des Fleurs ?
–il prétend que oui, l’air très sûr de son fait. Nous frappons à une grosse porte qui aussitôt
glisse dans ses rainures et s’ouvre… 5 »
Pierre LOTTI Madame Chrysanthème
1888 (qui a inspiré Madame
Butterfly en 1904, Puccini)
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